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Plébiscite arrangé

Benoît de Mestral
La Nation n° 2238 20 octobre 2023

L’administration cantonale, en passe de réviser le Plan directeur cantonal, a mis sur pied une «grande enquête sur le territoire vaudois», qui court jusqu’à la fin du mois sur http://vd.pdcn.ch. Le malheureux administré ayant eu l’occasion de s’exprimer, il n’aura plus à se plaindre une fois le grand projet technocratique accompli. Seulement voilà, les possibilités d’expression sont fortement réduites pour une personne de constitution mentale à peu près normale comme vous et moi. J’illustre.

Première question: «demain, j’aimerais vivre dans…». Outre la localité calme et le village rural, on nous propose: le territoire sauvage – qui n’existe plus dans notre Pays – et la ville. Mais attention, la ville peut être verte, festive, ou inclusive. En aucun cas la ville vaudoise du futur ne peut être accessible en voiture, calme, prestigieuse, faite d’occasions économiques, ou d’une grande richesse culturelle, comme elle le fut par le passé. Multiculturelle, par contre, c’est permis.

Suivent les sept thèmes définis pour le projet de plan.

La nature: êtes-vous d’accord de la préserver? Oui / non. Impossible pour l’administré d’exprimer son inquiétude face à l’implantations d’éoliennes à côté de chez lui.

La mobilité: voulez-vous une mobilité écolo, plus de transports publics, ou moins vous déplacer? Impossible pour l’administré d’expliquer qu’il est inquiet en tant que plombier indépendant de ne plus pouvoir servir ses clients urbains à moins de porter ses outils et le boiler de rechange sur son dos.

L’énergie: voulez-vous utiliser plus de bois local (il n’y en a de toute façon pas assez pour tout le monde), valoriser les déchets, produire plus d’énergies renouvelables? Impossible pour l’administré de rappeler à son seigneur que notre Pays dispose d’au moins un demi-siècle de réserves de gaz naturel sous le Léman.

L’agriculture: vous avez le droit de la vouloir locale, écolo, moderne et climato-compatible, harmonisée avec la nature, et très productrice. Impossible pour l’administré de relever que les surfaces d’assolement ne suffisent de toute façon pas à nourrir la moitié de la population, et qu’il faudrait peut-être commencer là.

L’emploi: en voulez-vous un plutôt durable, accessible, et numérisé? Impossible pour l’administré d’expliquer qu’il est propriétaire d’un petit commerce au centre-ville, et qu’il a perdu la moitié de sa clientèle depuis qu’on ne peut plus parquer à moins de 350 mètres de sa boutique.

Le service public: voulez-vous qu’il soit accessible et de qualité? Quelle drôle de question. Voulez-vous des logements répondant aux besoins de la population? S’agit-il là vraiment d’un service public? Impossible pour l’administré d’expliquer qu’il a 83 ans, qu’il voudrait renoncer à son permis, mais qu’il ne peut plus prendre le bus depuis qu’il faut un smartphone pour pouvoir acheter un billet.

Le milieu bâti: voulez-vous plus de logements, des espaces verts, des paysages, et peu de nuisances? L’administré dira oui à tout, sans réaliser que le premier objectif est par nature incompatible avec tous les autres.

Si ce qui précède ne suffit pas, j’ajoute ceci: l’administré qui rejette les propositions de l’administration est expédié à la fin du questionnaire; celui qui les accepte au moins partiellement est dirigé vers des questions supplémentaires afin de pouvoir exprimer plus précisément son opinion. Que l’on ne s’étonne pas de lire dans la presse d’ici quelques mois que le Plan directeur connaît un grand soutien populaire: seuls ceux qui le soutiennent auront été entendus.

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