Santé vaudoise: les prestations d’intérêt général (PIG) dans le brouillard
Un peu d’histoire nous aidera à comprendre les choses et pour cela il faut remonter à 2012 lorsqu’une modification de la Loi sur l’Assurance maladie (LAMal) a changé le mode de financement des hôpitaux. Brièvement dit, on a passé d’un système d’enveloppe globale à un système de financement selon les prestations, au moyen de forfaits par cas (Swiss DRG): l’hôpital reçoit un montant pour chaque cas – par exemple une opération de l’appendicite. Cette modification du système devait accroître la transparence en permettant la comparaison entre les divers hôpitaux, dans le but de freiner la progression des coûts (les chiffres sont disponibles sur le site de l’Office fédéral de la santé publique, OFSP, www.bag.admin.ch). Las, la politique vaudoise en la matière a certes, après un temps d’adaptation, adopté les forfaits par cas, elle n’a pas abandonné pour autant un subventionnement supplémentaire des hôpitaux, et plus particulièrement du CHUV. Ces subventions ont été allouées par le biais des prestations d’intérêt général, mieux connues sous l’acronyme de PIG. Mis en lumière depuis 2017 par l’étude du professeur S. Felder, de l’Université de Bâle, l’octroi de ces PIG a pour effet une distorsion de concurrence entre les établissements hospitaliers.
Vous avez dit PIG?
Prévues par la LAMal à son article 49 al. 3, ces prestations versées indépendamment du forfait hospitalier négocié comprennent «en particulier le maintien des capacités hospitalières pour des raisons de politique régionale et la recherche et la formation universitaire». On comprend aisément qu’il peut être judicieux de maintenir des structures de soins dans certaines régions isolées ou de contribuer à la recherche et à la formation. Mais là où le bât commence à blesser, c’est lorsqu’on examine les montants que les Cantons consacrent à ces prestations. Vaud y consacrait en 2016 près de 600 millions, soit deux fois plus que le Canton de Zurich. Ramené par cas traité de manière stationnaire, le Canton subventionnait 5'244 francs, tandis que Zurich versait 1'230 francs. L’une des raisons de cette importante différence réside dans l’application plus ou moins décidée des dispositions légales. Alors que la plupart des Cantons applique strictement les exceptions légalement prévues (recherche et formation universitaire, nécessités régionales), d’autres et en particulier le Canton de Vaud ont continué à financer leurs hôpitaux grâce à ces PIG, pudiquement appelées dorénavant PIG «implicites», permettant ainsi de maintenir une part des subventions allouées avant le changement de système.
Un effort contraint de clarification
On passera sur les nombreuses interventions parlementaires souhaitant lever le voile sur les mécanismes, les montants et la destination de ces PIG. Force est de constater qu’elles n’ont pu jusqu’ici amener l’administration à faire toute la lumière. Il aura fallu un rapport de la Cour des comptes publié en septembre 2023 (N° 80) pour que l’image se précise. Cette volumineuse étude de plus de 150 pages émet 15 recommandations à l’intention de la direction générale de la Santé et 11 à l’intention de l’Université de Lausanne. Elles tiennent tant à la définition même des PIG et à leur financement qu’à la gouvernance du système. Sur le plan des montants en cause, on constate que celui versé au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) est de l’ordre de CHF 400 millions. Les douze hôpitaux vaudois reconnus d’intérêt public (FHV) reçoivent quant à eux dans leur ensemble environ CHF 90 millions. Les PIG dites «implicites», soit la part non expliquée du financement cantonal, représentent quelque 150 millions par année, dont le CHUV absorbe environ 130 millions.
Le débat reste ouvert
Bien que l’Etat affirme considérer comme pertinente une grande partie des questions soulevées par la Cour des comptes et travailler à l’adaptation des processus de gestion des PIG, on ne décèle pas dans la réponse du Conseil d’Etat à l’interpellation du député Moscheni (23_REP_242) un réel empressement à agir pour réduire ces prestations au strict cadre légal fixé par la LAMal. Certes, la lettre n’en est pas limitative, mais on doit se demander s’il est conforme à l’esprit de la loi de continuer à verser des subventions à des hôpitaux en sus des tarifs négociés, alors que les autres cantons se contentent dudit tarif. Cela interpelle d’autant plus que le CHUV reste un service de l’Etat, dont la gestion n’est pas conduite par un Conseil d’administration comme dans tous les autres hôpitaux universitaires, mais par le politique et l’administration. A ce stade, on s’achemine semble-t-il vers certaines clarifications (promises par l’Etat pour l’an prochain), ce qui est la moindre des choses lorsqu’il s’agit de montants supérieurs à 100 millions de francs financés par les contribuables et dont l’affectation exacte reste jusqu’ici opaque. Quant à réduire ou supprimer ce qui est bientôt une exception vaudoise dans le concert des Cantons, on se gardera de (trop) rêver!
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- La démesure des limites planétaires – Editorial, Félicien Monnier
- Finances: le Conseil d’Etat n’est pas fiable – Jean-François Cavin
- † Michel Campiche – Jean-Philippe Chenaux
- Le Major Davel: derniers feux – Yves Gerhard
- Cher! – Jean-François Cavin
- Les mille façons de s’assimiler – Olivier Delacrétaz
- Ludivine Bantigny, démocrate aussi – Jacques Perrin
- UE: des négociations inabouties – Olivier Klunge