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Ludivine Bantigny, démocrate aussi

Jacques Perrin
La Nation n° 2270 10 janvier 2025

Dans La Nation du 13 décembre 2024, nous avons évoqué la démocratie authentique, nationale et organique telle que l’entend l’essayiste français Alain de Benoist, situé à droite.

Que faire? Stratégies d’hier et d’aujourd’hui pour une vraie démocratie: ainsi s’intitule le livre paru en 2023 de Ludivine Bantigny, historienne, fille de postiers, s’affichant comme marxiste libertaire.

La vraie démocratie de Ludivine ressemble-t-elle à celle d’Alain? Pas tout à fait, on s’en doute, mais les similitudes ne sont pas négligeables, notamment la haine de la démocratie représentative néolibérale et la glorification du peuple.

Selon l’universitaire écoféministe, nous vivons dans un monde terrifiant où l’extrême droite identitaire ose se dire démocrate! Le fascisme nous menace, lequel soutient le capitalisme, l’ennemi absolu. Macron, Musk, Trump, même combat! Le capitalisme ensauvagé, responsable de maux innombrables, dont la destruction méthodique du vivant, doit mourir pour que nous puissions vivre. Le peuple subit une double dépossession, celle de son travail et celle de sa force de décision démocratique. Il doit se réapproprier ce dont il a été dépossédé. Une oligarchie financière tient en main la démocratie représentative. Les arènes parlementaires nous dépossèdent, écrit Ludivine.

L’historienne veut changer la vie et installer la vraie démocratie. Le communisme n’a pas encore existé; les pays dits communistes, de 1917 à 1989, ne l’étaient pas, à cause du despotisme, de la bureaucratie et de l’obsession productiviste (Lénine avait importé des Etats-Unis le taylorisme qu’il admirait). Seule la Yougoslavie autogestionnaire fit brièvement illusion.

Ludivine Bantigny n’estime pas les communautés historiquement définies et géographiquement délimitées, les familles et les nations. Elle ne voit que des territoires autonomes et fédérés. Le monde idéal serait une maisonnée de collectifs.

Un collectif rassemble des gens qui luttent pour une cause. La démocratie directe y est privilégiée. Les collectifs sont, en principe, allergiques aux chefs. Durant de fréquentes assemblées, on discute, on délibère; on échange des informations; on vote, on décide. La prise de parole valorise chacun. Les collectifs autogérés permettent au peuple de dire son mot. Le peuple n’est pas constitué de citoyens liés à une cité, mais d’alliances de collectifs ouverts, solidaires, accueillant toute personne réfugiée. La zone à défendre écologique, la ZAD, est le collectif par excellence, antifasciste, féministe et antiraciste.

Comment la maisonnée des collectifs entend-elle changer la vie? Elle fixe les objectifs de la gauche éternelle: égalité, émancipation, autogestion; il s’agit de travailler moins et mieux; de toucher aux fondements des rapports de production, au système financier, sinon les acquis, la sécurité sociale par exemple, seront balayés. Il arrive que Ludivine Bantigny utilise la notion de bien commun: la suppression de la propriété et la socialisation des moyens de production sont le tronc du bien commun.

Le moyen d’atteindre les buts, c’est la révolution, transformation lente, qui ne se résume pas à un grand soir. Un long cycle de luttes débouche sur une crise révolutionnaire. La marxiste libertaire ne déteste pas le réformisme. La révolution peut commencer par des réformes. Il est judicieux de s’intégrer au jeu électoral pour favoriser l’accession au pouvoir d’une gauche éco-socialiste qui servirait de point d’appui aux collectifs libres d’agir dans l’espace public.

L’historienne cherche à tirer des leçons du passé: dans la démocratie athénienne, la Révolution française, la Commune de Paris, le Front populaire, Mai 68, les trois premières années du règne mitterrandien. Elle écrit: L’avenir du passé ne doit pas sombrer dans l’oubli du présent. Elle porte en elle un enthousiasme pour l’avenir radieux alors que le présent la désespère. Les progressistes du passé, en dépit de leurs excellentes intentions révolutionnaires, échouèrent souvent de façon pathétique. Les acquis durables ne furent pas nombreux. La vie des collectifs est joyeuse quand les projets foisonnent, ni utopiques ni lunaires. Des problèmes se posent parce que la réaction du capital est terrible et inflexible ou que la gauche réformiste trahit en se rangeant sous la bannière du néolibéralisme.

Selon Ludivine Bantigny, en 1968, les comités d’action ne purent s’unir à cause des anarchistes qui souhaitaient conserver la plus grande liberté à l’échelon le plus bas. Elle-même est favorable à une coordination, à la constitution d’un Etat qui ne s’appellerait plus « Etat». Les collectifs se coordonneraient à un niveau fédéral supérieur tout en conservant (comment?) leur liberté d’action. Elle se moque de la notion de subsidiarité propre au jargon européiste. Elle pense cependant que la catastrophe environnementale nécessitera une coordination démocratique centralisée parce qu’il faut traiter la menace à une échelle plus vaste (laquelle?). L’autrice passe sous silence une difficulté: comment les assemblées fonctionnent-elles dans l’urgence si elles sont dépourvues d’un chef responsable?

En outre, selon elle, on ne peut pas imaginer une vraie démocratie dans un monde raciste, réactionnaire, conservateur, à côté de formes haineuses et opposées à toute politique d’égalité, exprimées par des médias délétères. Il faut donc garder en poche un outil, la violence, en tant que nécessité vitale d’autodéfense. Certains actes illégaux sont permis: prise de pouvoir autogestionnaire, accueil des sans papiers, occupation de logements vides, fauchage de champs OGM, sauvetage en mer de personnes contraintes à l’exil (l’Aquarius, l’Ocean Viking), résistance violente aux violences policières.

Depuis des siècles, des révoltés veulent changer la vie. Ils désignent un ennemi: la féodalité, le roi, la grande bourgeoisie, les capitalistes. Une fois l’ennemi détruit, les collectifs du monde se donneraient la main. Ludivine Bantigny a le mérite d’analyser les causes des échecs révolutionnaires depuis 1789. Qu’en tire-t-elle, très concrètement, comme elle aime dire? Pas grand-chose. L’extrême gauche a choisi son ennemi: le capitalisme financier dont les fascistes seraient les alliés. Face à cette horreur, la centralisation, la résistance violente et l’autoritarisme sont soudain autorisés. Comment distinguera-t-on le mauvais peuple qui vote Trump et le bon qui aurait choisi Harris?

Il faudrait que Mme Bantigny se pose des questions plus précises sur la nature des communautés réelles et le mal en politique. Sinon sa stratégie révolutionnaire débouchera sur la guerre civile, comme toujours.

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