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De gauche par défaut

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1909 25 février 2011
Lors de l’Entretien du mercredi que nous avons eu le 16 février dernier avec M. Uli Windisch, celui-ci nous a présenté son projet, encore en gestation, d’un site internet rassemblant divers courants de pensée politique dits «de droite». Plus qu’un simple portail renvoyant à des sites et des blogs autonomes, il s’agirait d’une publication originale, avec un rédacteur en chef, une équipe rédactionnelle stable et des collaborateurs occasionnels. Sa fonction serait de contrebalancer, comme le fait la Weltwoche en Suisse alémanique, la tendance de gauche qui domine la presse romande.

M. Christophe Passer, ancien rédacteur en chef de L’Illustré, a réagi dans L’Hebdo du 17 février. Dans son article intitulé «Une droite étouffée, vraiment?», il affirme que la situation a changé depuis la fameuse étude qui, il y a une dizaine d’années, avait montré que la majorité des journalistes romands penchent à gauche: «De ce constat a découlé, depuis, l’irruption un peu partout de plumes, éditorialistes et chroniqueurs réputés souvent franchement de droite.» M. Passer mentionne notamment MM. François Schaller, rédacteur en chef de L’AGEFI, Philippe Barraud et son Commentaires.com, Pascal Décaillet, qui intervient dans divers journaux, à la radio et à la télévision. Il y a aussi les journalistes non professionnels, incarnant des droites à vrai dire fort diverses, Mme Marie-Hélène Miauton, MM. Charles Poncet, Marc Bonnant, Jean Romain, Yves Nydegger, François-Xavier Putallaz, Uli Windisch lui-même et d’autres, régulièrement invités dans l’un ou l’autre organe de la presse romande.

M. Passer évoque aussi les positions «que l’on pourrait qualifier de conservatrices» que certains quotidiens prendraient régulièrement. Là, on aurait bien voulu un ou deux exemples. D’ailleurs le terme est ambigu: un syndicaliste qui se bat pour conserver les acquis sociaux est un conservateur de gauche.

Ce qu’écrit M. Passer n’est pas sans pertinence, mais sa démonstration repose sur des exceptions à la règle. Les exceptions sont plus nombreuses qu’avant, on le lui accorde, mais la règle demeure. Les prises de position de la grande presse restent largement favorables aux actions et projets de la gauche.

L’apparition de plumes de droite dans la grande presse ne date pas d’il y a dix ans. Les éditeurs de journaux, qui sont d’abord des entrepreneurs, ont toujours aimé saler la soupe de gauche avec du sel de droite. Qu’on se rappelle les billets de Heurtebise dans La Suisse! Il y a plus de vingt ans, 24 heures créait sa rubrique destinée à des invités de toutes tendances, parmi lesquels MM. Jean-François Cavin, directeur du Centre Patronal et Philippe Pidoux, conseiller d’Etat radical. Le soussigné a livré une bonne cinquantaine de papiers à cette rubrique. 24 heures a fait école depuis, mais cette diversification bienvenue n’a pas modifié la tendance profonde.

Car il s’agit surtout d’une tendance, qu’on sent dans la manière même d’écrire, dans les jugements de valeur posés a priori, dans les références réflexes. Il s’agit d’une ambiance plutôt que d’une doctrine explicite. On pourrait parler d’une pesanteur intellectuelle qui fait que le journaliste romand moyen rédige à gauche dès qu’il se laisse aller.

La première explication est que la presse relève du spectacle. Il y faut du bruit et de la couleur, de l’excitation, du changement. La gauche, réformatrice ou révolutionnaire, en produit certainement plus que les conservateurs. Elle est à ce titre plus rémunératrice. Mais aujourd’hui, c’est l’UDC qui fait le spectacle. M. Freysinger est plus spectaculaire que M. Levrat. Or, l’esprit des médias est resté à gauche jusqu’à maintenant. Dirat- on que c’est la force d’inertie et que, si le succès de l’UDC devait durer, la presse finirait par s’aligner sur les «valeurs» de ce parti? Nous en doutons.

Une autre explication fait remonter la tendance de gauche des médias à la révolution de mai 1968 et à la prise des leviers de commande par ses acteurs. Sans doute, mais le terrain était préparé depuis longtemps. Il suffit de lire les revues de presse de La Nation d’avant la guerre pour s’en convaincre.

Risquons une autre explication. Le journaliste, et en particulier le journaliste politique, juge les événements, les projets de loi, les actions politiques en les rapportant à quelques principes fondamentaux. C’est normal. La Nation ne fait pas différemment. Ces principes, s’il ne dispose pas lui-même d’une philosophie originale, il les trouve, par défaut, dans la pensée dominante, celle qui traîne dans toutes les cervelles, celle qui inspire nos institutions et en dirige l’évolution, celle qui fonde le régime démocratique, je veux dire la pensée égalitaire.

La pratique aidant, le journaliste se sent le gardien du Temple, le représentant du principe, celui qui, loin des vains bruits du cirque électoral et de la défense des intérêts concrets cantonaux, entretient par ses écrits la conscience de l’essentiel chez ses lecteurs. Il tend dès lors à privilégier, tout en conservant la certitude d’être objectif, les projets qui vont dans le sens de l’étatisme et de la centralisation, les deux expressions politiques majeures du progrès de l’idée égalitaire. C’est peut-être en ce sens que son inspiration reste de gauche, et que la plate-forme de M. Windisch garde toutes ses raisons d’être.

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