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Donnez-nous l’exemple !

Jacques Perrin
La Nation n° 2018 15 mai 2015

Montrez-nous un exemple ! demandent les écoliers quand une règle de grammaire les tourmente. Des adultes qui leur enjoignent de se comporter correctement, ils exigeraient aussi à bon droit : donnez-nous l’exemple !

Que les mailles du modèle social soient serrées ou lâches, tout observateur se rend compte que les règles de conduite que celui-là dispense sont des abstractions sans force. Il est sans doute possible d’étudier les normes sociales et d’en dire quelque chose de vrai, mais en tant que valeurs idéales, elles n’animent pas les personnes concrètes. Les normes ont besoin de s’incarner.

Pour avancer sur le chemin de la vie, pour y subsister, l’enfant comme l’adulte cherche des guides. Personne ne marche seul. Dès notre naissance, des proches nous montrent comment grandir. Si nous avons de la chance, nos parents nous éduquent. Les valeurs, les modèles et les principes n’existent que par les personnes qui leur donnent chair, sinon ils resteraient des mots vides, des essences habitant un ciel inaccessible.

Dès la petite enfance, nous entendons ces mots : obéissance, attention, courage, responsabilité, autonomie. Nous en saisissons à peine le sens tant que nous n’avons pas vu des personnes obéissantes, attentives, courageuses, etc. Alors nous sommes éperonnés, certaines conduites nous semblent adéquates et nous les imitons. Plus la vertu à laquelle nous nous proposons de parvenir est élevée, plus nous recherchons avidement des personnes qui la pratiquent. Ainsi est-il ardu de croire si la Providence ne met pas sur notre chemin des croyants témoignant de leur foi plus par les actes que par des sermons clinquants, même si ceux-là sont souvent peu spectaculaires (car le show en cette matière repousse plus qu’il ne séduit).

Des personnes devenues des exemples vivants ont elles-mêmes imité les attitudes qu’elles avaient admirées chez autrui. Le commandant Hélie Denoix de Saint Marc1, sorte de chevalier moderne, mentionne les nombreux exemples qui l’ont façonné, à commencer par celui de son père, puis ceux du mineur letton qui le sauva d’une mort certaine à Buchenwald, de militants communistes d’une droiture parfaite, d’un chef de réseau de la résistance à l’occupant, de multiples sous-officiers et officiers de la Légion, de partisans vietnamiens, etc.

La pratique de la vertu procède de l’admiration que l’on porte aux comportements vertueux. Quand nous évoquons les épisodes marquants de notre vie, quantité de personnes exemplaires assaillent notre mémoire. Notre père, un frère, un maître d’école, un médecin de famille, un patron, un commandant de compagnie, un joueur de foot, un entraîneur : les modèles sont plus nombreux que nous ne l’avions cru, notre vie en est tissée.

Les modèles corrompus comptent aussi, ceux qu’on a d’abord suivis et contre lesquels il a fallu se rebeller, ceux qui nous ont déçus (bien représentés dans l’officialité politique et militaire…), les histrions que Nietzsche appelle les « comédiens de leur idéal », les hypocrites. Que pensent les cyclistes juniors qui ont révéré un Lance Armstrong, tricheur dopé et pathétique ? Peut-être faut-il que nos modèles aient quelques faiblesses pour que nous les imitions avec zèle ? Ils ne sont pas des rivaux, même si nous finissons par les dépasser. La concurrence n’a pas de place ici.

La vie avançant, il est parfois recommandé de ne plus imiter personne, de devenir soi-même l’autorité devant laquelle autrui s’incline. Le moment vient de « montrer l’exemple », d’exécuter les gestes que d’autres reproduisent. Cela vaut notamment pour les artistes qui commencent à manifester leur génie propre. Pissarro dit un jour à Matisse : « Travaillez, n’écoutez personne ! ».

Aucun soldat n’a montré du courage parce qu’un orateur de cantine a parlé de « volonté de défense » ou d’« amour de la patrie ». Aucun citoyen n’a jamais défendu des libertés concrètes parce que les journaux ont vanté les « droits humains ». Aucun artiste n’a peint un tableau convenable parce qu’il disposait du « manuel de la créativité ». Le soldat a suivi son sergent parce qu’il avait confiance en lui. Un père s’est battu pour l’indépendance de son pays parce qu’il a imaginé sa femme et ses enfants réduits en esclavage. Le peintre a copié les maîtres anciens dans les musées.

Ce sont les exemples (et les contre-exemples) vivants qui les ont déterminés à agir.

Notes:

1 Hélie de Saint Marc, Mémoires. Les Champs de braise, Perrin, tempus, 2002.

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