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Joyeux Hunger Games! Un divertissement de notre Capitole?

Pierre-Gabriel Bieri
La Nation n° 2036 22 janvier 2016

Chaque fin d’année amène son lot de films fantastiques, dont les épisodes successifs sortent à douze mois d’intervalle afin de nous tenir en haleine. Parmi les succès de ces dernières années figure Hunger Games, adaptation cinématographique en quatre parties d’une trilogie littéraire de science-fiction écrite par l’auteur américain Suzanne Collins et publiée entre 2008 et 2010. Le premier film portant ce nom est sorti en 2012; le quatrième et dernier – La Révolte, partie 2 – est arrivé dans les cinémas en décembre 2015.

L’histoire se passe dans des décors fantastiques et imaginaires, qui pourraient être ceux de l’Amérique du Nord dans le futur, septante-quatre ans après une grande guerre qui a fondé un «nouvel ordre». Douze districts survivent pauvrement, soumis et contrôlés de loin par le «Capitole», capitale richissime à l’architecture grandiose et où l’oisiveté le dispute au mauvais goût. La population des districts, plus ou moins misérable et entretenue dans un sentiment de culpabilité face aux révoltes passées, doit travailler pour produire les richesses du Capitole, mais aussi fournir chaque année des «tributs» humains pour les Hunger Games, mélange de jeux du cirque modernisés et d’avatars futuristes de nos actuelles émissions de téléréalité. Les participants doivent se battre les uns contre les autres, à mort, dans des gigantesques scènes naturelles créées de toutes pièces par ordinateur et parfaitement contrôlées depuis les pupitres de commande des animateurs du «jeu». Des moyens technologiques hors normes projettent à tout moment dans le ciel les photos et les noms des «héros» qui meurent les uns après les autres, victimes de concurrents rendus d’autant plus sauvages par la peur d’être eux-mêmes tués. Les pièges les plus terrifiants et les fins les plus cruelles, filmées par des caméras omniprésentes, font partie du «divertissement» offert aux habitants du Capitole.

Mais parmi les «tributs» se trouve cette fois Katniss, une jeune fille du District 12, accompagnée de son ami Peeta. Par leur courage, mais aussi et surtout par leurs qualités morales, ils vont contrarier les plans du Capitole et de son cynique président Snow, et redonner courage et espoir aux populations des districts qui décident de se révolter.

Il y a aussi des méchants du côté des gentils

L’intérêt de l’intrigue est qu’elle dépasse (un peu) le manichéisme primaire auquel nous sommes habitués. Tout au long de son combat, Katniss va en effet être instrumentalisée par le pouvoir du Capitole, mais aussi par les dirigeants de la rébellion. Tant ses ennemis que ses «amis» veulent à tout prix récupérer et exploiter son image et les émotions qu’elle suscite. Chacun de ses gestes est filmé et mis en scène. L’héroïne doit constamment lutter pour poursuivre son objectif et sortir du rôle que les personnages ambitieux de son propre camp veulent lui faire jouer. On découvre ainsi que ceux qui se révoltent utilisent souvent les mêmes méthodes de manipulation que ceux qu’ils combattent. On réalise qu’il y a aussi des méchants du côté des gentils.

On peut en outre apprécier la satire féroce de certaines dérives de notre société: les jeux offerts à la population, la passivité de cette dernière, la superficialité mais aussi le pouvoir du sinistre et hilare animateur de télévision nommé César. En même temps, cette critique d’un système totalitaire est elle-même saturée des «valeurs» politiquement correctes que les médias nous imposent aujourd’hui: les méchants sont riches, blancs, capitalistes, ils font régner l’ordre et la discipline par des policiers inhumains; les gentils se trouvent dans les populations exploitées, pauvres, multiculturelles, démocratiques et tolérantes. On retombe dans le manichéisme des clichés altermondialistes.

Suivre l’exemple de Katniss

On ne saurait donc trop conseiller au spectateur de procéder à une lecture au troisième degré. Ces films qui dénoncent habilement le pouvoir de l’image exploitent eux-mêmes ce pouvoir. Ils constituent eux-mêmes une mise en scène, un divertissement offert par notre «Capitole» pour nous faire rêver d’une révolte contre un pouvoir totalitaire tout en nous désignant ce pouvoir ailleurs que là où il est réellement. Toute la subtilité du monde dans lequel nous vivons réside dans cette capacité de détourner et de canaliser les velléités de révolte vers des images de synthèse, tout en faisant croire que les vraies cibles ne sont que des leurres. Mais comment savoir où se situe la vérité? Ceux qui sont persuadés de le savoir sont souvent les premiers à se fourvoyer…

Cela n’enlève rien au plaisir que nous avons eu à nous plonger dans l’univers fantastique de Hunger Games, avec ses cités fastueuses, ses paysages immenses et sauvages, ses trains et ses avions futuristes et ses souterrains mystérieux. Simplement, il faut suivre l’exemple de Katniss, en faisant preuve de méfiance et d’intelligence pour percevoir et fuir tous les rôles trop faciles dans lesquels les uns et les autres tentent de nous enfermer.

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