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La presse est une pièce du jeu politique

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2040 18 mars 2016

Le Conseil fédéral doit jouer serré, entre la Constitution qui l’oblige à contingenter le nombre des étrangers, et lui donne jusqu’au 9 février 2017 pour le faire, l’Union européenne qui place la libre circulation des personnes au-dessus de tout et l’économie suisse qui veut à tout prix conserver les bilatérales.

Le conseiller fédéral Didier Burkhalter a pris le parti de dépassionner le débat, allant jusqu’à déclarer, le soir du vote sur l’initiative contre l’immigration massive, que son acceptation n’était «pas la fin du monde». Et quand, ce même soir, Arnaud Montebourg insulta la Suisse et la menaça de rétorsions, M. Burkhalter se contenta de le morigéner comme un petit morveux: «Tout ce qui est excessif est insignifiant.»

Au lieu de bloquer sur les impossibilités juridiques, M. Burkhalter plaide pour une approche pragmatique. Il répète que «les problèmes peuvent se régler par étapes». Son projet d’accord propose une clause de sauvegarde à partir d’un certain seuil d’immigration. Cela ne se ferait pas automatiquement, mais sur décision du Conseil fédéral. Les cantons pourraient gérer eux-mêmes la répartition des contingents. Des mesures annexes permettraient de réduire les abus en matière d’aide sociale1.

M. Burkhalter profite de chaque ouverture pour avancer d’un pas, ou d’un demi-pas. A peine l’Union a-t-elle proposé des dérogations à la Grande-Bretagne qu’il en déduit la possibilité pour la Suisse d’obtenir elle aussi un traitement correspondant à son cas particulier. C’est d’autant plus fondé que nous ne faisons pas partie de l’Union. De plus, le désordre engendré par la question migratoire, le ratage de Schengen et le retour plus ou moins larvé aux frontières nationales vont aussi dans le sens d’une différenciation.

Si toutefois l’Union européenne devait s’obstiner, il demandera aux Chambres de voter le principe d’une clause de sauvegarde unilatérale. C’est ce qu’on appelle le «plan B».

Son obstination feutrée sera-t-elle payante? Pas mal de commentateurs n’y croient pas et prophétisent inlassablement le pire, affirmant ex cathedra que «le Conseil fédéral sombre dans la plus totale confusion», «qu’il ne parvient pas à dépasser le stade des intentions», que la clause de sauvegarde n’est qu’un «écran de fumée», qu’elle «n’a aucune chance devant le parlement» et «ne pourrait que fâcher Bruxelles», «que la Suisse n’aura jamais le temps de trouver un terrain d’entente avec l’UE» et «s’enferre dans un plan B dont il sera de plus en plus difficile de s’extraire», que «de hauts fonctionnaires européens» ont fait savoir que l’Union «n’accepterait pas la moindre référence à une clause unilatérale de sauvegarde dans le projet de loi sur l’immigration», et ainsi de suite.

Il y a quelque chose de pénible dans ce défaitisme triomphant, dans cette joie malsaine à voir la Suisse réprouvée. Ce petit monde communie dans une certitude sacrée: la Suisse a tort politiquement et moralement de vouloir jouer son propre jeu, Bruxelles a raison aux yeux de l’Histoire et l’avenir nous contraindra tôt ou tard à rejoindre la grande fusion européenne et mondiale. Pour dire les choses crûment: la seule politique que ces commentateurs sont disposés à encenser consiste à rendre les armes et à se coucher. En ce sens, on comprend qu’ils considèrent toute autre solution, qu’il s’agisse du plan A, du plan B ou même des bilatérales, comme des «gesticulations» sans lendemain.

Ces journalistes oublient que la presse travaille en situation. Ce qu’elle dit et écrit joue un rôle dans la perception que les Etats étrangers ont de notre force et de notre détermination. Qu’elle le veuille ou non, la presse est une pièce du jeu et ne peut agir comme si elle était en dehors.

Non que le journaliste doive adopter une attitude serve à l’égard du gouvernement. La critique est nécessaire, et La Nation la pratique elle-même avec assez de verve. Mais en matière de politique étrangère, la critique doit porter prioritairement sur les insuffisances du Conseil fédéral quant à ses tâches essentielles: faire respecter la souveraineté suisse, défendre nos institutions, en particulier le fédéralisme, préserver les libertés des personnes, des communes, des entreprises face à l’extérieur.

On nous objectera que nous choisissons les critères en fonction d’une doctrine de la souveraineté que les journalistes ne partagent pas nécessairement. Peut-être. Mais en même temps, c’est un fait que ces critères correspondent aux exigences fondamentales de toute politique durable. Sous la pression des événements migratoires, les Etats européens s’en rendent compte depuis quelques mois et y reviennent discrètement.

Préserver la souveraineté de l’Etat, c’est aussi préserver à long terme les conditions d’exercice des libertés de tout genre, en particulier d’opinion, d’expression et de publication, chères à juste titre aux journalistes.

Quoi qu’il en soit, il y a des moments- clefs où la critique de la stratégie n’a plus sa place. Ces prochains mois, le conseiller fédéral Burkhalter et ses collaborateurs vont jouer, avec peu de cartes, une partie décisive contre la bureaucratie la plus arrogante du monde. Ce n’est pas le moment de leur tirer dans les pattes.

Notes:

1 On lira avec intérêt l’excellent service d’information du Centre Patronal du 8 mars dernier. On le trouve à l’adresse internet www.centrepatronal.ch/immigration 

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