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Parallèles et différences

Alain Charpilloz
La Nation n° 2141 31 janvier 2020

Cet article a paru dans Le Jura libre No 3018, 24 janvier 2020.

Histoire vaudoise - un survol1: tel est le titre d’un petit ouvrage remarquable de concision et de richesse, qui retrace la lente construction de l’identité vaudoise, des Romains à nos jours. En le lisant, on voit se constituer un terreau, où les générations successives déposent leurs sédiments, intégrant des arrivants de toute origine, pour modeler ce qui forme un peuple, ce que le Doyen Morel de Corgémont appelait «un corps de nation» en parlant de notre Jura.

La Suisse, par sa forme fédérale, a permis à des communautés petites, mais soudées par le sentiment d’identité partagée, de traverser les siècles sans se dissoudre. C’est un privilège immense pour ceux qui en comprennent la valeur. Et ce fut aussi une frustration terrible pour nos pères d’être les seuls de la Confédération suisse à en avoir été spoliés.

Par nature, l’identité est un concept difficile à définir sans susciter de controverses, d’autant plus qu’il peut être dévoyé ou caricaturé. Cependant, dans la mesure où il illustre une façon spécifique d’être au monde, il enrichit la biodiversité humaine. Mais surtout, il crée pour ceux qui en ont conscience, un espace de solidarité, qui n’exclut en rien la fraternité avec autrui.

Plus humiliés qu’opprimés

La certitude d’appartenir à une communauté qui nous dépasse dans le temps et dans l’espace met un peu de baume sur la finitude de notre vie. Elle pousse à l’entraide, à la valorisation de ce que le passé nous a légué, à l’illustration de la terre sur laquelle nous sommes des hôtes éphémères. Cela ne dissuade pas l’accueil, ni ne provoque l’exclusion. De même que prendre soin de son jardin n’induit pas à dévaster celui des autres. Les modes et les idéologies passent, le pays demeure et nous, ses enfants, avons la belle tâche d’en cultiver les fruits et d’en enrichir le sol.

Cette histoire vaudoise ressemble à la nôtre, à ceci près qu’elle s’est conclue par une libération sans mutilation, ce qui nous fait évidemment dresser l’oreille. L’auteur souligne que le pouvoir bernois fut plutôt bien supporté dans les campagnes, mais que les élites urbaines se plaignirent de l’attitude hautaine, de la morgue de Leurs Excellences de Berne, dès le XVIIIe siècle. Les Bernois gardaient toutes les bonnes places pour eux et laissaient les miettes aux Vaudois, lesquels étaient «plus humiliés qu’opprimés».

Les premiers mouvements séparatistes jurassiens vinrent des mêmes milieux: en 1830, en 1917, en 1947, ce furent d’abord des insurrections de notables humiliés par la morgue de Leurs Excellences, dont l’apothéose fut l’éviction de Georges Moeckli. Cependant, si Vaud a reçu l’appui décisif de la France pour se libérer, les Jurassiens ne pouvaient espérer semblable secours.

Des notables aux masses

En 1947, le «Comité de Moutier» se serait sans doute enfoncé dans les divisions partisanes dont Berne savait tirer les fils. Il a fallu le trait de génie de quelques-uns pour transformer l’indignation des «élites urbaines» en force politique de longue haleine. Ils avaient compris que, contrairement au XIXe siècle, le vingtième n’était plus celui des notables, mais celui des masses populaires, ce que Lénine et Mussolini notamment avaient démontré.

Dans notre cas, c’est la conscience de leur identité profonde, populaire, du haut en bas de l’échelle sociale, qui a donné aux Jurassiens la force et l’endurance pour venir à bout d’une tutelle puissante et retorse.

Relevons un épisode vaudois qui fera sourire nos lecteurs. En 1791, des banquets furent organisés à Lausanne et à Rolle pour célébrer la prise de la Bastille et… la liberté. «Berne vit des crimes dans ces démonstrations, au lieu d’y voir un avertissement de la disposition des esprits», écrit un acteur de l’époque. Résultat: répression, condamnations, déploiement de forces militaires. Sept ans plus tard, Vaud était libre.

La politique du «gros bâton» atteint rarement ses buts. Et Pierre Alain Schnegg, qui met tout le monde devant le fait accompli, devrait se souvenir que faire preuve de morgue est de très mauvais goût. Surtout quand on s’occupe d’hôpitaux.2

Notes:

1  Corinne Chuard, Editions Gollion, Lausanne 2019. A quand un ouvrage du même type pour le Jura?

2  Celle-là est de très mauvais goût aussi. Mea culpa.

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