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Le Conseil synodal, la Cathédrale et le Festival de la Cité

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2233 11 août 2023

Selon le règlement d’utilisation de la Cathédrale, les spectacles qui s’y donnent doivent être «dépourvus de tout caractère polémique ou politique». L’autorisation est accordée par la «Commission d’utilisation de la Cathédrale», désignée et présidée par l’Etat, comprenant notamment le pasteur du lieu et un représentant de l’Eglise vaudoise.

Dans le cadre du Festival de la Cité de cet été, M. Gérald Kurdian, artiste militant, a donné un spectacle intitulé «Hot bodies Choir». En voici un court et suffisant extrait:

Les queerphobes, les transphobes, les grossophobes, vos gueules!

Les sexistes, les racistes, les capitalistes: vos gueules!

Les terfs1, les bourgeois et les agresseurs: vos gueules!

Les flics, les assurances et les ouins: vos gueules!

Les « oui mais pas tous» et les putophobes: just get a life

And read a book!

24 heures a publié une photo où l’on voit, derrière les choristes, l’injonction Ejaculate projetée sur un grand panneau.

La Commission a donc autorisé un spectacle à la fois polémique et politique, en contravention frontale avec le règlement. L’excuse qu’elle invoque, si c’en est une, est qu’elle n’en connaissait pas le texte, lequel, paraît-il, n’était pas encore écrit. Disons pour être aimable qu’elle a péché par excès de confiance. M. Kurdian en a profité pour passer entre les mailles du filet réglementaire.

Le journal Le Peuple a lancé une pétition demandant le respect des lieux de culte, des explications et des excuses. Elle a recueilli pas loin de onze mille signatures et le site du mensuel a reçu plus de 2000 commentaires. Par son caractère public, la démarche a empêché que, profitant du sommeil des vacances, l’officialité ne glisse discrètement les ordures sous le tapis.

Mme Christelle Luisier, présidente du Gouvernement vaudois, a regretté des textes «inappropriés» et «clairement malveillants à l’égard de la police». Elle a annoncé qu’à l’avenir «nous ferons preuve de plus de vigilance».

Mme Bettschart-Narbel, députée au Grand Conseil et présidente des libéraux-radicaux, a qualifié le spectacle de «non inclusif et intolérant», ce qui est difficilement contestable.

M. Romain Pillioud, président des socialistes vaudois, a déclaré que «la Cathédrale n’était peut-être pas le lieu optimal pour délivrer un tel message».

Qu’allait dire le gouvernement de l’Eglise vaudoise? Dans un premier temps, le Conseil synodal a décidé de ne pas s’exprimer officiellement. Autrement dit, il se retirait sous sa tente et laissait la Commission d’utilisation prendre la responsabilité de toute l’affaire. Retrait illusoire: l’unanimité des réactions et le succès croissant de la pétition, bien relayés par la presse, montraient que la «décence commune» avait été atteinte. Il lui fallait se manifester.

Dans son communiqué, après avoir rappelé la responsabilité principale de la Commission, il reconnaissait du bout des lèvres que «les processus mis en place et réglementaires» étaient insuffisants, et qu’il y avait des problèmes de «gouvernance» à résoudre.

Au lieu de ce commentaire administratif, lisse et neutre, on aurait voulu que le Conseil synodal exprime son indignation sans attendre. Ou plutôt, on aurait voulu qu’il soit vraiment indigné, en communion d’indignation avec une bonne partie de la population, qu’il dise sa révolte, son incompréhension, son chagrin. C’est peut-être cette note affective, existentielle qui a manqué le plus.

Le communiqué affirmait encore qu’en régime réformé, les pierres ne sont jamais sacrées. En d’autres termes, «circulez, il n’y a rien à bafouer!» Et tant pis pour tous ceux qui ont été scandalisés qu’un tel spectacle ait pu passer en un tel lieu. Cette référence confessionnelle ne disait au mieux que la moitié des choses. Car les éléments religieux qui, comme leur nom l’indique, nous relient au Créateur, ont par cette fonction même quelque chose de sacré. La Cathédrale en est un exemple évident, avec sa beauté, sa grandeur, son ancienneté, avec ses murs qui portent l’écho des innombrables prières qui s’y sont dites, le souvenir des innombrables sacrements qui y ont été reçus. Le moindre croyant, le moindre conseiller de paroisse sait ou sent cela et, à ce qu’on a lu, le moindre politicien aussi. Et c’est cela qui, le samedi 9 juillet, a été méprisé et agressé. Et c’est à côté de cela que le Conseil synodal est passé.

Peut-être craint-il, en s’indignant «à l’ancienne», de voir l’Eglise taxée de conservatisme, d’étroitesse et de fermeture d’esprit. Mais de toute façon, les ennemis de l’Eglise, bien plus étroits et fermés qu’elle ne le sera jamais, continueront de l’attaquer, par-delà ses reniements et ses ralliements. Il serait plus avisé d’assumer frontalement le fait que les fondamentaux de la foi chrétienne sont contraires à l’esprit du siècle, désincarné, platement rationaliste, dépourvu de transcendance, individualiste sur le plan moral et collectiviste sur le plan social.

Mme Martine Chalverat, la directrice du Festival de la Cité, a déclaré, avec la suffisance inexpugnable des milieux de la culture subventionnée, que «les messages de tolérance, d’ouverture et d’inclusivité […] sont proches de ceux que véhiculent les Eglises». Ces vagues et trop faciles approximations donnaient une bonne occasion au Conseil synodal de rappeler à tous que l’Eglise n’a pas pour fonction première de «véhiculer» des messages moraux, sociaux ou climatiques, mais de porter le témoignage historique de la Révélation, d’affirmer l’espérance portée par le sacrifice du Christ et de se conformer à son ordre de faire de toutes les nations ses disciples.

Au passage, le Conseil synodal aurait pu consacrer trois lignes aux caractère convenu de ces provocations «culturelles», toujours les mêmes, qu’on nous inflige depuis plus de cinquante ans. Il aurait aussi pu flétrir l’hypocrisie de ses auteurs qui prétendent avoir choisi la cathédrale pour ses seules qualités acoustiques – ce qui fait rire tous les mélomanes assis plus loin que le troisième rang – et se prétendent «navrés si nous avons heurté la sensibilité de certaines personnes», alors qu’ils n’espéraient que ça.

Le Conseil synodal a gaspillé une bonne occasion d’adresser à l’ensemble de la population un message clair et percutant sur l’Eglise et ses raisons éternelles d’être. L’affaire a dessiné en creux le rôle qu’il doit tenir, celui d’un défenseur attentif, limpide et vigoureux de l’Eglise, de ses mœurs, de ses pratiques et de ses lieux.

Nous publierons sa réponse, lui recommandant toutefois, dans son intérêt et celui de nos lecteurs, de ne pas en confier la rédaction à son communicateur habituel.

Notes:

1   Les terfs (trans-exclusionary radical feminist) sont des féministes radicales qui refusent d’inclure les trans dans la lutte féministe.

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