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La signature

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2262 20 septembre 2024

La signature, c’est la personne. Comme son auteur, elle est unique et inaliénable. La donner, c’est s’engager. Signer une demande de référendum ou d’initiative, c’est charger le comité d’une mission précise auprès de l’autorité. Le comité n’est pas le propriétaire des signatures récoltées. Il n’en est que le porteur.

La signature n’est pas un blanc-seing sur une feuille blanche à la discrétion du comité. En ce sens, l’inscription d’une clause de retrait sur la feuille de signatures est un piège et une incitation au marchandage: «Nous retirons notre initiative si…», sans que le signataire puisse exprimer son éventuel désaccord. Si l’initiative est retirée au profit d’un texte voisin dont on peut penser qu’il correspond à la volonté des signataires, c’est encore acceptable. Mais nous avons encore sur l’estomac le retrait en 1996 de l’initiative fédéraliste «Pour l’abolition de l’impôt fédéral direct», qui avait abouti avec plus de 106'000 signatures et fut retirée unilatéralement par le comité, sans contrepartie et sans motif autre que le refus de se battre. Ce lâchage des signataires et des récolteurs était inexcusable. Une connaissance d’un canton voisin nous a parlé d’un autre comité, qui proposait de retirer son initiative en échange de la création d’un étang. La demande, faut-il le dire, n’avait pas de rapport direct avec le texte proprement dit.

A la Ligue vaudoise, nous avons une conception plutôt artisanale de la démocratie directe. La récolte sur la rue, c’est de la politique vécue. C’est une suite de mini-débats avec les passants, souvent instructifs. Cette rencontre de personne à personne constitue aussi une utile et peu coûteuse pré-campagne.

D’autres ont une conception plus industrielle de la démocratie directe. A partir d’énormes fichiers d’adresses, ils inondent le marché de feuilles de signatures expédiées par la poste et atteignent le total requis par la simple loi des grands nombres. Cette anonymisation est sans doute peu satisfaisante du point de vue de l’esprit concret et personnel des droits populaires. Mais le fait est qu’on peut être riche, peu nombreux et proposer une excellente idée. Et tant que le signataire signe librement et en connaissance de cause, sa signature est aussi bonne que celle qu’on recueille à la place de la Palud un samedi de marché.

De même, si un comité paye les récolteurs à la signature, tant que le signataire est conscient de ce qu’il signe, le système n’est pas foncièrement détourné.

Enfin, on sait depuis quelques semaines qu’il existe des entrepreneurs en démocratie directe, qui, contre rémunération, font récolter des signatures pour n’importe quelle cause et par n’importe qui. D’expérience, ces récolteurs stipendiés maîtrisent très mal le sujet. Pour un référendum, ils argumentent en disant que le peuple doit pouvoir s’exprimer (ce qui n’est généralement pas faux, mais tout de même un peu court). Et pour une initiative, ils se bornent à développer le thème général, à l’exclusion des dispositions proposées et de leurs conséquences. Il arrive que des guignols nous proposent un bouquet de feuilles à signer, sans relation les unes avec les autres, référendums, initiatives, voire pétitions, et à tous les niveaux, fédéral, cantonal et communal. On est à l’extrême limite. Mais là aussi, le citoyen n’a qu’à lire le texte et ne signer que s’il lui convient. Et là aussi, sa signature, apposée librement, reste valable. Là est l’essentiel.

En ce qui concerne les récolteurs, on a proposé de leur imposer un minimum de formation civique couronné par l’obtention d’un badge officiel. On a aussi envisagé de rendre obligatoire l’inscription, sur chaque feuille de signatures, du nom et de l’adresse du récolteur responsable. Oui, bon, peut-être… Mais qu’en tout cas, les éventuelles modifications légales ou réglementaires n’entravent pas la tâche déjà lourde des honnêtes citoyens récolteurs d’authentiques signatures!

La question des signatures falsifiées ou inventées doit être examinée séparément. Outre le fait qu’il s’agit d’un délit d’ores et déjà puni par la loi, le contrôle communal des signatures, puis le contrôle cantonal ou fédéral, s’il est effectué en tenant compte des risques de fraude, permet de réduire celle-ci à peu de choses.

La mésaventure de M. Elias Vogt, responsable de l’initiative populaire fédérale «contre la destruction de nos forêts par des éoliennes» soulève une autre question. Sans avoir reçu de mandat de M. Vogt, une entreprise privée a récolté 5000 signatures qu’elle entend lui vendre. M. Vogt a refusé et, depuis lors, subit les pressions incessantes de l’entreprise et de ses employés.

Or, ces 5000 signatures existent bien réellement. Elles représentent autant de personnes réelles. Si elles restent en rade parce que M. Vogt ne veut pas payer, cela représente 5000 citoyens floués. De plus, comme on ne peut pas signer deux fois, cette récolte sauvage prive le comité de 5000 signatures potentielles. C’est une double entrave à l’exercice des droits politiques, d’abord à l’égard des signataires, dont on détourne la signature, ensuite à l’égard du comité, dont on réduit le champ d’exercice des droits politiques.

On peut se demander si les signatures récoltées sans mandat ne devraient pas être saisies d’office par les autorités et mises sans frais à la disposition du comité d’initiative ou de référendum, voire directement déférées à l’administration compétente. Les droits des citoyens signataires seraient ainsi respectés, le parasite serait puni par où il a péché et tout rentrerait dans le bon ordre démocratique direct.

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