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Coupes indispensables

Jean-François Cavin
La Nation n° 2262 20 septembre 2024

La Confédération souffre du COVID long. Jusqu’en 2019, ses finances étaient équilibrées. La dette était maîtrisée (100 milliards quand même, mais tout est relatif). Puis la pandémie a éclaté; la Berne fédérale a dépensé 30 milliards en deux ou trois ans pour faire face. Pas moyen jusqu’ici de résorber cette dépense, d’autant plus que la guerre d’Ukraine nous fait débourser un peu plus pour le militaire (en attendant un vrai renforcement de l’armée) et beaucoup plus pour l’accueil des victimes du conflit. Les perspectives sont encore plus noires, si l’on ne réagit pas, avec la 13e rente de l’AVS, les besoins de la défense, peut-être la reconstruction de l’Ukraine. On s’attend à un déficit structurel de 2 milliards prochainement, de 4 milliards en 2030.

D’autres Etats plongent dans le rouge le plus vif. Ce n’est pas la tendance helvétique; le frein fédéral à l’endettement contraint d’ailleurs à retrouver l’équilibre. La gauche politique a peut-être tendance à préférer l’endettement – après moi le déluge – mais le Conseil fédéral souhaite retrouver la voie de la santé financière. C’est seulement ainsi que le pays sera prêt à affronter de nouvelles crises, et il n’en a pas manqué depuis un lustre. Les Sept Sages ont donc chargé une commission de formuler des propositions d’assainissement. Les commissaires sont au nombre de cinq, deux professeurs d’université, deux anciens conseillers nationaux qui furent membres de la Commission des finances, sous la présidence de M. Serge Gaillard, ancien directeur de l’Administration fédérale des finances (et chef syndicaliste auparavant). Cet effectif restreint de connaisseurs était de bon augure: le groupe ne peut pas se disperser en états d’âme personnels et doit être solidaire dans la recherche d’une solution.

Son travail, publié récemment, est de qualité. La méthode est clairement exposée. Les propositions sont réalistes dans l’ensemble (étant entendu que toute coupe paraît douloureuse à qui la subit et suscite une réaction de rejet). Elles ne supposent pas de grande réforme structurelle, ce qui serait impossible à court terme, et une seule révision de la Constitution fédérale (pour 3% du programme). La commission a donné une claire priorité aux économies, tout en préservant la croissance des crédits de défense jusqu’à 1% du PIB en 2035 selon l’option du parlement. Mais elle présente deux variantes éventuelles, ce qui est politiquement opportun, l’une avec une croissance moins prononcée des dépenses militaires, l’autre avec des augmentations d’impôt.

Résumé des propositions d’économies

Le rapport énumère 66 propositions d’économies. On ne saurait les citer toutes dans cet article. Elles sont groupées en cinq rubriques reprises ci-dessous et nous ne citerons que les principales.

1. Mesures d’allègement motivées par des gains d’efficacité. On en attend 1'739 millions d’économies en 2027, 2'046 millions en 2030. Notamment: priorité de l’intégration des réfugiés au marché du travail et limitation à quatre ans de l’aide fédérale aux Cantons pour ces personnes; en matière de climat et d’énergie, davantage de prescriptions et moins de subventions; «la plus grande retenue» dans les subventions aux entreprises et aux secteurs économiques; resserrement des crédits aux infrastructures de transport (pour les CFF, il semble bien qu’il y ait de quoi; pour les autoroutes, c’est plus discutable).

2. Mesures visant à clarifier la répartition des tâches entre la Confédération et les Cantons. On en attend 1'266 millions en 2027, 1'505 millions en 2030. C’est surtout l’abandon de la contribution fédérale à l’accueil extra-familial des enfants (on salue l’idée, car les Cantons sont tout à fait aptes à s’occuper des garderies); c’est aussi la révision d’un aspect de la péréquation financière, celui lié aux «charges socio-démographiques», qui profite surtout aux Cantons… riches!).

3. Prévoyance sociale. On en attend 226 millions en 2027, 369 millions en 2030. Diminution tendancielle de la contribution de la Confédération à l’AVS en la fixant selon le revenu de la TVA; plafonnement des subventions aux Cantons pour l’aide aux assurés-maladie.

4. Réduction ou suppression de subventions diverses. On en attend 135 millions en 2027, 121 millions en 2030. Il s’agit notamment d’une réduction de 10% des contributions volontaires aux organisations internationales (aide à la coopération exclue), de 10% aussi des subventions à la promotion du sport et de la suppression de l’aide à la formation continue.

5. Allègement des dépenses non liées après redéfinition des priorités. On en attend 342 millions en 2027, 571 millions en 2030. Il s’agit notamment de geler les dépenses de coopération internationale et de réduire de 10% les contributions au Fonds national suisse (la Confédération n’a guère à s’occuper de culture).

6. Mesures applicables au « domaine propre ». On en attend 200 millions en 2027, 305 millions en 2030. Il s’agit principalement de tailler dans les dépenses de personnel, dont l’effectif a augmenté de 17% depuis 2009.

Au total, ces propositions amèneraient à 3,9 milliards d’économies en 2027 et 4,9 milliards en 2030. Sous deux ou trois réserves, elles sont dans l’ensemble bienvenues.

Résumé des propositions fiscales éventuelles

La commission ne les présente qu’à titre subsidiaire. On y trouve la soumission des véhicules électriques à la taxe poids lourds dite RPLP (peut-être acceptable), la création d’un impôt fédéral sur les gains immobiliers (à rejeter absolument, car il empièterait sur la matière fiscale des Cantons), une imposition accrue des retraits en capital des 2e et 3e piliers (à étudier, car ils sont privilégiés par rapport à l’imposition des rentes). La commission envisage encore de fixer un taux unique de la TVA, à 6,8%, ce qui simplifierait l’impôt et rapporterait 1 milliard.

Du point de vue fédéraliste

Quelques propositions d’économies ont un impact sensible sur les Cantons, pour un montant global de 270 millions, donc de quelque 6% du programme complet, ce qui est assez léger. Il s’agit de:

– la révision de la péréquation financière

– la suppression de subventions pour les établissements d’éducation

– la suppression de l’engagement du Corps des garde-frontière pour les tâches de police dans les aéroports

– la suppression de l’aide à l’école de langue française de Berne

– la limitation de certains versements pour la formation professionnelle

– la suppression de l’aide à l’accueil extra-scolaire des enfants, dont on a vu plus haut la justification

– la diminution de diverses subventions, notamment aux transports régionaux et à la protection du paysage.

Le vrai fédéralisme ne consiste pas pour les Cantons à mendier des sous auprès de la Confédération, mais à assumer eux-mêmes les tâches qui leur incombent et qu’ils sont en mesure de traiter. C’est le cas pour la quasi-totalité des mesures envisagées.

Du point de vue des forces politiques

Si bien balancé que soit le rapport, il provoquera l’opposition d’une partie de la gauche, qui ne songe qu’à distribuer, et de plusieurs bénéficiaires des dépenses fédérales. Il faut donc trouver un appui solide chez les gens sérieux. Au Conseil fédéral, deux UDC et deux PLR (si M. Cassis ne fait pas le malin) devraient entraîner le collège. Au parlement, c’est plus difficile. L’UDC et le PLR ne forment une majorité dans aucune des Chambres. Le Centre pourrait louvoyer, selon son habitude. Déjà son président, M. Gerhard Pfister, a livré une interview en caoutchouc mou, où il parvient à dire tout et son contraire. Il s’agira de rallier à la bonne cause les plus sûrs des centristes, peut-être en maintenant quelques subventions intéressant les cantons de montagne et en acceptant deux mesures fiscales (RPLP des véhicules électriques et renforcement de la taxation des retraits en capital). Il conviendra aussi de convaincre les Verts libéraux, peut-être par une concession sur les subventions à l’assainissement des constructions. Mais à quelques retouches près, l’essentiel du projet devrait être sauvegardé, pour le bien de nos finances et la sécurité de l’avenir.

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