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La Suisse est belle

Textes touristiques inédits – Oeuvres de Paul Budry, tome IV

Paul Budry

Illustration

CRV n° 152
Publié en 2014
232 pages
CHF 39.00
ISBN 978-2-88017-152-0

Pour nous tenir à l’écart de la littérature de seconde zone, nos maîtres avaient créé la catégorie «littérature ferroviaire.» Il s’agissait de romans médiocres mais agréables à lire, parce qu’il y avait de l’action (Konsalik), des bons sentiments (Guy des Cars, Gilbert Cesbron), de l’amour (Delly, Barbara Cartland)… Mais cela ne condamne pas toute lecture dans un wagon de chemin de fer. On se souvient que naguère les CFF offraient à leurs passagers une luxueuse revue, richement illustrée de photographies noir et blanc en héliogravure, suspendue au porte-manteau par une ficelle: Die Schweiz – la Suisse – la Svizzera – Switzerland. Les textes étaient souvent substantiels. Or, de 1934 à 1946, Paul Budry, alors responsable romand de l’Office suisse du tourisme, produisit une centaine d’articles pour cette estimable publication.

Quelques-uns ont été restitués dans l’édition des Oeuvres, parue en trois volumes en l’an 2000, sous la direction d’Yves Gerhard, aux Cahiers de la Renaissance vaudoise. Depuis lors, Yves Gerhard est devenu le spécialiste mondial du grand écrivain vaudois, dont l’œuvre profuse et disséminée recèle encore quelques surprises au sein de gisements inexplorés. Muni d’une lampe frontale de spéléologue, notre infatigable découvreur a visité la mine oubliée de la revue des CFF. Il en a exhumé une soixantaine de petits chefs-d’œuvre qui font aujourd’hui l’objet d’une publication sous la forme d’un quatrième tome à ajouter à des Oeuvres qui ne seront décidément jamais complètes.

Comme Vialatte ou Roorda, Budry a le génie de la petite forme et se meut avec aisance dans ces textes à vocation touristique. Leur destination entretient un ton volontiers jubilatoire qui pourrait sembler dicté par des nécessités publicitaires: il s’agit d’attirer les visiteurs dans les sites évoqués. En réalité, c’est le caractère habituel de l’écrivain, qui est un optimiste. Le bonheur de lire Budry, c’est de partager ses émerveillements, de se laisser gagner par son exaltation devant les paysages, les êtres, et aussi les progrès techniques. Rien à voir avec la joie factice des plateaux de télévision ou des publicités. L’art de Budry exprime le bonheur de vivre en plein air et un patriotisme ingénu qui nous atteignent comme les parfums oubliés d’un bon vieux temps. Le charme rétro de ces textes est renforcé par un choix d’illustrations issues de la revue. (Ah! la baigneuse en monokini de la page 86, pilotant son hors-bord du bout des doigts!)

Budry possède une personnalité stylistique aisément reconnaissable, par sa facilité à trouver des formules qui font mouche: «Un spectacle de rien du tout, mais émouvant comme les funérailles d’un prince.» Ses métaphores frôlent parfois l’étrange: «Le baigneur n’est-il pas, après tout, un pêcheur qui se pêche lui-même?» Ne dirait-on pas Apollinaire? Dans une syntaxe plus surveillée que celle de son contemporain Cingria, il n’hésite pas à recourir au mot rare (vénusté), à l’expression locale (vegnolan pour vigneron – aujourd’hui le snobisme a imposé viticulteur), au néologisme (se dégourmer).

Paul Budry est aussi un moraliste qui croit à la valeur éducative des paysages: il évoque les écoles de montagne «où de petits drôles à peine vêtus font leurs premières humanités sous le regard des cimes. Ils oublieront peut-être ce qui était écrit dans leurs manuels; ils n’oublieront jamais ce qu’ils ont lu dans ce plus beau des livres.» Son regard parfois ironique ou paradoxal est toujours bienveillant. A ce titre on peut voir en lui un successeur de Töpffer.

(Jean-Blaise Rochat, La Nation du 7 mars 2014)

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