Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Gnädige Frau

Elisabeth Laufer
La Nation n° 1892 2 juillet 2010
Ah! Les taxis… Je n’en use que rarement, mais cette fois, à Vienne, je me suis offert ce luxe, et je ne le regrette pas. Le chauffeur est un homme dans la force de l’âge, richement moustachu, grave et serviable. Il démarre, et au premier feu rouge il me regarde par-dessus son épaule et me demande: «Darf ich fragen, gnädige Frau, de quel pays vous venez?» Nous bavardons un peu, et j’apprends qu’il est Kurde, né en Iran. Non, non, il n’est pas musulman, il vénère Zarathustra (ou Zoroastre, si vous préférez), vous connaissez: Nietzsche… Also sprach Zarathustra… Je manifeste un certain intérêt dans ce contact avec un homme qui pratique une religion aussi exotique, et il me raconte qu’en Autriche il est l’une des seize personnes qui croient en Zarathustra (VIIe siècle avant J.-C.). Ils ont deux dieux, un dieu du mal et un dieu du bien, ils croient en la réincarnation, mais les musulmans ont tué son père et ses deux frères à cause de leur foi. «Savez-vous que ma vieille mère vit encore en Iran, c’est épouvantable. Quant à moi, j’ai épousé une Autrichienne, mais je n’ai pas voulu avoir d’enfant dans un monde pareil. Moi, personnellement, je vais très bien, j’aime l’Autriche, j’ai tout ce qu’il me faut. Mais, gnädige Frau, j’ai peur pour l’Autriche, peur pour leur gentillesse, qu’on pourrait aussi appeler leur faiblesse. L’Autriche accepte que les musulmans ne s’adaptent pas, qu’ils excluent toute autre religion tout en profitant des avantages de ce pays chrétien. Chez eux, ils tuent ceux qui sont différents, gnädige Frau, l’Autriche devrait exiger la réciprocité, et comme ce n’est pas le cas, je n’ai pas voulu avoir d’enfant.»

Nous sommes arrivés, il m’accompagne avec mes bagages. Je le regarde, et je me demande s’il connaît l’adage: «Le dernier venu ferme la porte derrière lui.» Mais c’est surtout un mot de son propos qui m’a frappée, le mot réciprocité. Nous ne saurions attendre que l’Iran change de politique pour accepter chez nous des musulmans iraniens, mais pour ceux qui cherchent asile chez nous, on est bien en droit de compter qu’ils observent les règles du jeu.

Sinon, ne faut-il pas alors appliquer la sanction du renvoi si les requérants n’apportent pas seulement leur lot de misères et de malheurs, mais aussi leur fanatisme et leur violence?

Le taxi et son chauffeur zoroastrien s’éloignent. Je me dis qu’il ne me reste qu’à lire Nietzsche pour savoir ce que disait Zarathustra.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: