Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

La démographie vaudoise en questions (II)

Jean-François Cavin
La Nation n° 1920 29 juillet 2011
Nous avons vu dans l’article précédent qu’il est raisonnable de prévoir une augmentation de la population vaudoise, dans les trente prochaines années, jusqu’à concurrence d’un million d’habitants (aujourd’hui 708’000); qu’il serait difficile de contrecarrer cette évolution, sauf mesures artificielles de contingentement ou de gel des zones constructibles, mesures marquées par le dirigisme et génératrices de certains déséquilibres; qu’il ne sied d’ailleurs pas de considérer cette perspective comme une menace, car la structure démographique de la population et ses caractéristiques socio-culturelles seraient celles d’un Canton jeune et fort.

Cela ne veut pas dire que la mue annoncée s’opérera sans effort. Outre l’exigence d’une politique d’intégration conçue avec finesse et appliquée avec constance, il faudra faire face à d’importantes questions d’ordre pratique et politique. En voici quelques-unes.

Où loger 300’000 personnes?

La question est d’autant plus embarrassante que la pénurie de logements règne déjà, et sera pire dans dix ans selon les prévisions à court terme, car on n’a guère anticipé.

En 1990, un opuscule de Jean-Philippe Chenaux (Sol en stock, dans la série Etudes et Enquêtes du Centre Patronal) indiquait que les zones légalisées du Canton, qui comptait alors 563’000 habitants, permettraient d’accueillir 250’000 personnes supplémentaires, soit une croissance de 47%. On se croyait à l’aise pour un bon bout d’éternité. Aujourd’hui, les zones légalisées sont insuffisantes; elles permettent théoriquement d’accueillir 80’000 habitants supplémentaires, mais la thésaurisation du sol, qui bloque deux tiers des parcelles, amoindrit fortement ce chiffre. Faut-il lutter contre cette thésaurisation? Elle résulte tout de même du droit de propriété, et n’a d’ailleurs pas que des effets néfastes. Le droit d’emption des communes, dont le conseiller d’Etat Mermoud a claironné l’annonce ce printemps avant de battre promptement en retraite, eût été un remède de cheval à l’efficacité d’ailleurs incertaine.

La solution passe surtout par la réalisation de grands projets urbanistiques, du genre de ceux que l’on prévoit à Romanel-Vernand, aux Plaines-du- Loup, à Malley, à l’est de Morges, à Payerne, au nord d’Yverdon entre la gare et le lac, à Vevey sur le site des anciens Ateliers mécaniques, ailleurs encore. Ils ne seront pas prêts avant 2020 environ, mais devraient suffire à accueillir la population en 2030, selon le Service du développement territorial (SDT). Cela donc sans toucher à la limite de 15% d’augmentation de la population des villages, d’ailleurs discutable à nos yeux et en tout cas trop rigide comme on le voit à Etoy. Limite qui permet tout de même d’accueillir un quart des nouveaux venus selon le SDT.

On n’est donc pas dans une impasse. On pourra loger un million de Vaudois sans raser des quartiers entiers de villas pour densifier l’habitat et sans toucher aux sites protégés, même pas à l’essentiel de nos belles campagnes.

Et les transports?

Sur ce chapitre, la situation est beaucoup plus préoccupante, à cause de l’idéologie bornée des magistrats verts en charge des infrastructures, ennemis de la mobilité. La capacité des transports collectifs est notoirement insuffisante (c’est le comble pour des écolo-socialisants). Le réseau routier est engorgé en de nombreux points stratégiques. On court à la congestion. Les responsables ont fini par s’en apercevoir et des améliorations de l’offre ferroviaire sont programmées. Il reste beaucoup à faire, de la conception à la réalisation, pour les transports publics et les transports privés, dans les villes et hors des villes.

Et les autres équipements?

Ils devront suivre, évidemment. Les écoles des divers niveaux abriteront 40’000 têtes blondes ou noiraudes de plus (+ 25%). Les hôpitaux et les EMS devront faire face aux besoins de 40’000 octogénaires de plus (+ 100%). Et les sports et la culture à l’avenant. Et les prisons, car il ne suffit pas, hélas, d’ouvrir des écoles pour rendre les geôles inutiles… L’énergie? Il vaut mieux n’en point trop parler dans cette période post-fukushimesque où la plupart des politiciens se plongent la tête dans le sable; mais tenons déjà pour certain qu’il ne suffira pas de dresser quelques dizaines d’éoliennes ventées un jour sur trois.

Quel financement?

Voilà qui appelle des efforts considérables après des lustres de sous-investissement de la part de l’Etat, qui n’est remonté que récemment à quelque 300 millions annuels. Mais il faudrait la moitié plus.

Le conseiller d’Etat Broulis a lâché dans la presse qu’on allait dépenser environ 12 milliards en dix ans. Mais ce chiffre paraît concerner l’ensemble des investisseurs publics, Confédération (et CFF), canton et communes. Cette information reste donc à la fois vague et aléatoire, vu le nombre de décisions qui restent à prendre à tous les niveaux. Pour ce qui concerne l’Etat lui-même, un plan décennal indicatif semble indispensable.

Le frein aux dépenses inscrit dans la Constitution ne facilite pas les choses. Selon ce mécanisme, toute dépense nouvelle doit voir son financement assuré, y compris les investissements pour la tranche annuelle d’amortissement; cela soit dans le cadre d’un budget non déficitaire, soit par de nouvelles ressources ou des économies opérées sur d’autres postes. Cet instrument n’est pas facile à manier dans une période d’investissements intenses. Convient-il de le modifier? Nous ne plaidons pas pour que notre grand argentier adopte une politique financière à la grecque. Mais il sied de décider en temps voulu les investissements à consentir en fonction d’un essor qui se traduira aussi par des recettes fiscales supplémentaires.

Une voix mieux assurée dans le concert confédéral?

Le Canton de Vaud représentait autrefois environ 10% de la population suisse. Sa part est tombée à quelque 8% dans le dernier quart du siècle passé. Les projections démographiques font apparaître qu’elle pourrait monter à 11-12% dans une génération, si la croissance économique reste au rendez-vous. Cela permet de prétendre à un rôle de premier plan.

Et si Genève, sortant de sa léthargie urbanistique, en vient à compter 500’000 habitants, les cantons lémaniques pèseraient d’un poids non négligeable sur la politique fédérale. Ils devraient se faire entendre, d’ailleurs, pour obtenir leur juste part des moyens fédéraux, dont ils auront besoin.

Quel dispositif politique?

Nous ignorons bien sûr dans quelle mesure le Conseil d’Etat, toutes affaires cessantes, consacre sa réflexion à cet avenir probable, examine les diverses questions qu’il pose et s’efforce de dégager une vue d’ensemble. Le président du gouvernement a accueilli la perspective de cette croissance de manière positive, et l’on s’en réjouit. Mais encore?

Pour ce qui concerne les documents publiés, il est certain que les instruments nécessaires font défaut. Le plan directeur cantonal, qui devrait être la boussole, ne repose pas sur les dernières perspectives démographiques; partiellement obsolète quand bien même il est récent, il reste en deçà des besoins futurs. Il est en particulier gravement insuffisant s’agissant des transports. Il manque un plan d’investissement à long terme fondé sur les récentes prévisions. Notre politique énergétique, attentive aux énergies renouvelables, est loin d’assurer l’approvisionnement d’un million d’habitants et d’une économie productrice dynamique.

Peut-être le plan de gouvernement de la prochaine législature en dira-t-il plus. Il convient d’en jeter les bases sans tarder, au niveau des dossiers administratifs, pour que l’élan politique puisse être donné rapidement. Il serait aussi correct que les partis, en particulier les Verts de toutes tendances, s’expriment dans leurs programmes électoraux de façon claire et réaliste sur leur vision de l’avenir du Canton. Le défi démographique appelle un effort politique renforcé d’imagination, de planification et de conduite.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: