Clause du besoin des équipements médicaux lourds
Contexte
A fin 2013, le canton de Neuchâtel a bénéficié d’un arrêt du Tribunal fédéral confirmant la légalité de son refus de délivrer une autorisation d’achat d’un scanner à des ophtalmologues d’une structure privée.
M. Maillard, chef du Département de la santé publique et président du Conseil d’Etat vaudois, s’est engouffré dans la brèche, établissant un projet de décret sur la régulation de tels équipements dans le canton de Vaud, qui sera discuté par le Grand Conseil prochainement. En cas d’acceptation, un référendum sera très probablement lancé.
Le projet
Il s’agirait, pour une durée initiale de cinq ans, de soumettre tout équipement lourd type scanners (il y en a de différentes caractéristiques), IRM, matériel lié aux coronarographies et autres images vasculaires complexes, appareils à briser les calculs rénaux, appareils de chirurgie robotique, appareils de radiothérapie supérieurs à 1 million et centres de chirurgie ambulatoire coûteux à l’approbation du Conseil d’Etat.
Quelques chiffres
La majorité des équipements lourds type scanners ou IRM sont détenus par des acteurs privés, d’abord par les instituts de radiologie, puis par les cliniques privées. Les hôpitaux publics disposent d’un bon tiers des scanners et de moins de 30% des IRM. C’est plutôt logique, car ces examens sont avant tout réalisés dans un contexte ambulatoire.
M. Maillard signale que, statistiquement, le canton de Vaud se situe dans les cinq premiers quant au nombre de scanners en Suisse, et second pour les IRM derrière Genève. Il est au-dessus de la moyenne suisse. Bâle-ville a toutefois 50% de scanners en plus que Vaud, et les Etats-Unis en ont proportionnellement davantage que notre canton.
Eléments d’appréciation
Les coûts de la santé augmentent, ce n’est pas nouveau. Cela est dû au vieillissement de la population, à son accroissement, aux maladies chroniques qui augmentent, à la politique de réserve des caisses, mais aussi aux progrès technologiques liés au développement d’équipements sophistiqués et donc onéreux. Au lieu de se réjouir du remarquable accès de la population à cette imagerie et aux traitements facilités (par exemple stents dans les coronaires, traitements de certaines tumeurs, contrôles rapprochés après traitements initiaux du cancer, traitements ambulatoires plutôt qu’hospitaliers, quasi absence de délais d’attente) qui permettent à la Suisse d’être en tête, selon l’université d’Harvard, de la qualité de la médecine dans le monde, M. Maillard s’attaque à ce secteur.
L’argumentaire du gouvernement se fend par ailleurs d’éléments outrageants pour la population médicale en prétendant prévenir la surmédicalisation, évoquant des examens potentiellement délétères pour les patients, la multiplication d’actes sans réelle nécessité médicale. Il critique également la population, stipulant que les patients sont demandeurs des dernières technologies et forceraient presque les médecins à les prescrire… Ce n’est pas sans hypocrisie que le Département de la santé est d’un côté partie prenante dans la formation des médecins pour ensuite critiquer ceux-ci d’appliquer leurs connaissances dans l’utilisation de technologies de pointe. M. Maillard ne saurait ignorer que personne ne se plaît à être malade et à consulter, encore moins à devoir passer des examens où il y a du rayonnement X (scan) ou qui sont très bruyants et longs (IRM).
Par des arguments mal étayés, sans base scientifique valable, comparant avec des pays où les indices de qualité des soins sont moins bons qu’en Suisse et dans le Canton de Vaud, assénant des formulations telles que «il est notoire que» et des arguments erronés notamment sur le risque des radiations ionisantes, on assiste à un discours technocratique typique de personnes qui ne sont pas du métier de la santé et qui peinent véritablement à avoir la vision nécessaire pour apprécier les choses globalement. L’impression qui se dégage est celle d’une argumentation bien légère qui ne résisterait certainement pas à un audit externe indépendant.
Dans cette affaire, il y a une zone d’ombre sur le plan juridique avec une bagarre ouverte touchant l’appréciation dans la Constitution de la liberté économique et du libre exercice de la profession médicale d’une part; le principe de proportionnalité et la justification d’un intérêt public suffisant pour justifier ce type de réglementation contraignante, d’autre part.
En réalité, la situation semble plus simple qu’elle n’y paraît et les arguments divers du gouvernement apparaissent davantage comme un paravent masquant le véritable enjeu. A ce titre, rappelons que 80% des coûts sont générés par 20% des patients. Il n’y aurait de toute façon pas ou seulement très marginalement un effet sur les coûts. Neuchâtel n’a d’ailleurs pas signalé de baisse… Enfin, les équipements lourds du secteur privé ne coûtent rien à l’Etat et lui permettent même d’économiser des millions.
Il s’agit en fait d’un discours politique visant à protéger les intérêts des hôpitaux publics contre ceux du secteur privé, l’Etat étant clairement juge et partie dans ce cas. Il s’agirait en particulier d’éviter d’avoir un plateau technique moins bon dans le secteur public que dans le privé, avec les conséquences que l’on peut deviner. La conséquence, à savoir un rationnement des soins, des listes d’attente et un vieillissement du parc technologique, apparaît disproportionné et contraire à l’une des missions du Service de la santé publique: assurer à la population des soins de qualité. Le signal serait malvenu, alors que le canton est fier du développement de sa «health valley» et qu’il bénéficie toujours d’un certain tourisme médical d’étrangers souhaitant se faire soigner ici.
Enfin, et c’est vraisemblablement l’élément clé, il doit s’agir de mettre davantage en œuvre la puissante volonté sans limite de planification qui anime M. Maillard et son rêve de système de santé étatique. Cela touche également les EMS; et il n’y a guère de doute sur la cible prochaine: le secteur ambulatoire1.
Il convient de s’opposer systématiquement à des démarches étatiques diminuant l’accès aux soins, la qualité de ceux-ci, l’altération du lien médecin-patient sur l’autel d’une idéologie qui consacrerait la gestion de l’humain aux dépens des intérêts véritables de celui-ci.
Notes:
1 M. Maillard n’a pas attendu la publication de cet article pour ouvrir les feux. 24 heures de samedi 12 septembre titrait: «Les coûts de l’ambulatoire vont plomber les primes des Vaudois». On y lit notamment que: (…) Les coûts bruts de l’ambulatoire par assuré vaudois sont nettement supérieurs à la moyenne suisse, relève Pierre-Yves Maillard. (…) En 2014, dans le canton de Vaud, ces coûts étaient même de 40% supérieurs à la moyenne suisse. C’est pour pallier cette hausse de l’ambulatoire que le Département de la santé veut freiner l’acquisition de nouveaux équipements en radiologie, radiothérapie et chirurgie ambulatoire.
Ce que ne dit pas notre défenseur du petit assuré, c’est que le développement de l’ambulatoire n’est qu’une conséquence du retard pris dans le secteur hospitalier. (Réd.)
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Le piège de l’accord-cadre – Editorial, Olivier Delacrétaz
- #bescherelletamère – Chamille Noémier
- Une historiographie neutre? L’exemple vendéen – Jean-François Pasche
- Philipp Müller et le Cassis-de-Dijon – Félicien Monnier
- A propos du Cantique suisse – Yves Gerhard
- Cures vaudoises: un bradage inacceptable – Antoine Rochat
- La France que nous n’aimons pas – Jacques Perrin
- Clarifier les débats sur les autoroutes – Jean-François Cavin