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Europe, ville ouverte

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2029 16 octobre 2015

Elan du cœur? Gestion proactive d’un multiculturalisme jugé inévitable? Pressions de la grande industrie visant une main-d'œuvre peu coûteuse? Influence perverse de marionnettistes mondialisants désireux de semer le chaos en Europe? Désir d’en finir avec la culpabilité morbide qui englue l’Allemagne depuis si longtemps? Peu importent, au fond, les motifs supposés de Mme Merkel, en regard des effets immédiatement constatables de l’ouverture des frontières allemandes.

L’Etat allemand et les Länder ont débloqué des montants de plusieurs milliards, ils ont mis en chantier des centaines de milliers d’habitations pour permettre à ces huit cent mille immigrants d’affronter l’hiver. On peut compter sur leur esprit d’organisation pour mener l’opération à chef. Mais s’il en vient le double ou le triple? La question n’est pas absurde, tant la porte a été largement et bruyamment ouverte.

Tous les Allemands n’étaient pas sur les quais des gares pour accueillir les immigrés avec des pancartes enthousiastes. Tous ne sont pas bien logés et bien nourris, ils n’ont pas tous un travail. Il y a de nombreux sans-abris allemands pour lesquels on n’a jamais jugé bon de consentir un tel effort. Comment accepteront-ils le fait que leur pays les traite moins bien que des étrangers? On a dénoncé avec raison cette «concurrence des pauvres».

Certains politiciens suisses, invoquant la nécessité de compenser notre natalité défaillante, approuvent Mme Merkel. Ils veulent importer des bras pour assurer la croissance économique et l’avenir de l’AVS. Ils font comme si l’immigration ne posait que des problèmes de gestion de «ressources humaines», pour reprendre une formule aussi laide que révélatrice.

Ils se placent à l’altitude stratosphérique des statistiques, d’où l’on ne distingue plus les frontières ni les peuples. Ici, l’humanité n’est plus qu’un jeu de forces démographiques où les parties les plus denses – quantitativement et moralement – se déplacent vers celles qui le sont moins, les envahissent et s’y substituent. Appliquant cyniquement les lois du marché aux mouvements migratoires, ils rejoignent dans l’«ouverture» à tout crin les idéalistes qui veulent ne voir que l’aspect individuel des migrants, à l’exclusion de toute appartenance collective.

Or, si l’on adopte la vision à distance moyenne propre à la politique, la masse abstraite des statisticiens se décompose. Et elle ne se décompose pas en individus isolés, mais en groupes linguistiques, ethniques, religieux, culturels extraordinairement divers.

Il est irréaliste de penser que ces arrivants n’auront rien de plus pressé que d’adopter immédiatement et sans histoire nos façons de vivre, nos conceptions du droit, de la famille, du travail, de la vie quotidienne, des rapports politiques, de la coexistence des religions. Chacun, chaque groupe désire tout naturellement conserver sa langue, sa religion et ses mœurs.

Et même si maint arrivant tient à s’assimiler – c’est-à-dire à repiquer ses racines individuelles dans un terreau communautaire nouveau –, cela demande beaucoup de temps et de bonne volonté de la part des uns et des autres. Cela demande aussi que le rythme des absorptions ne dépasse pas celui de la digestion. Les Allemands, et l’Europe entière à leur suite, ont eu, ces jours, les yeux plus gros que le ventre.

Ajoutons que cette proximité confuse de nationalismes, de tribalismes, de clanismes, de féodalités, de religions antagonistes, d’appartenances ethniques ou raciales – sans parler de mille contentieux historiques, parfois réels, souvent gonflés voire inventés pour les besoins de la cause – constitue une menace permanente pour l’ordre public. La semaine passée, la police allemande a dû protéger des réfugiés syriens chrétiens contre les réfugiés syriens musulmans qui les persécutaient. C’est un signe. La chancelière allemande a importé dans son pays des conflits qui ne sont pas les siens.

Mme Merkel veut ouvrir les frontières de l’Allemagne, mais aussi celles de Schengen. Elle impose cette ouverture à l’ensemble des Etats européens. Le ministre allemand de l’intérieur, M. Thomas de Maizière, a déjà menacé de priver de l’aide européenne les Etats qui refusent d’entrer dans le jeu des répartitions obligatoires. Cet acte de pouvoir unilatéral signale un transfert implicite à Bruxelles, pour ne pas dire à Berlin, d’une part supplémentaire de la souveraineté des Etats membres. M. Hollande l’a dit dans son style inimitable: «Plus que jamais, il faut plus d’Europe!»

L’Europe se renforce pour mieux s’affaiblir.

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