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De l’utilité de la bourgeoisie pour les Vaudois

Félicien Monnier
La Nation n° 2037 5 février 2016

Le 1er janvier de cette année est entrée en vigueur une modification de la loi vaudoise sur les fusions de communes. Elle prévoit que les bourgeois des communes fusionnées peuvent conserver, entre parenthèses après l’indication du nom de la nouvelle commune, le nom de leur ancienne bourgeoisie. Un bourgeois de Cully pourra ainsi bénéficier de l’indication d’origine «Bourg-en-Lavaux (Cully)». On parle indifféremment de bourgeoisie, de droit de cité communal ou de lieu d’origine.

Contrairement à de nombreux cantons, le Pays de Vaud ne connaît pas l’institution des communes bourgeoises, indépendantes des communes politiques. Ces bourgeoisies peuvent être très fortunées. Des privilèges y sont souvent attachés. Dans ce contexte, on comprend la tradition de la naturalisation par le peuple, très présente dans les cantons dits primitifs.

Les habitants d’Arnex-sur-Orbe ou de Gimel ne tirent aucun bénéfice de leur lieu d’origine. La question peut donc se poser de l’actualité de la bourgeoisie pour les Vaudois. On constate leur attachement certain à leur lieu d’origine. Des processus de fusion de communes ont pu en souffrir. Cela a probablement motivé la récente modification législative.

En droit fédéral, la bourgeoisie communale demeure le fondement de la nationalité suisse. Rappelons que la naturalisation se fait en trois étapes. Le requérant doit obtenir en premier lieu une bourgeoisie communale, puis un indigénat cantonal, et enfin la nationalité suisse. La naturalisation est ainsi fondamentalement fédéraliste. Les cantons sont au centre du processus, dans la mesure où ils fixent l’étendue des compétences communales. Il s’agit ici de la seule fonction de droit public de la bourgeoisie pour les Vaudois. Certes, les dispositions transitoires de la Constitution cantonale réservent «les droits coutumiers de bourgeoisie fondés sur la Constitution de 1885». Nous n’en avons toutefois pas trouvé de traces juridiquement déterminantes. Il s’agit de traditions avant tout symboliques. Elles donnent par exemple droit à une miche de pain par année, voire un sapin à Noël. Mais le symbole ne saurait être minimisé.

En droit civil suisse, l’enfant acquiert par naissance le droit de cité du parent dont il porte le nom. Dans le Code civil, la bourgeoisie accorde certains droits et obligations aux communes d’origine.

La commune d’origine pourra ainsi contester une reconnaissance de paternité (art. 259 al. 2 CC). Il en ira de même pour contester une adoption entachée d’un vice (art. 269a CC). La commune doit pouvoir refuser de se faire imposer, par une adoption viciée ou reconnaissance de paternité douteuse, un nouveau bourgeois. Avant les systèmes d’assurances sociales, les communes d’origine endossaient des obligations d’entretien de leurs bourgeois nécessiteux. Cela explique essentiellement la conservation de ces droits d’opposition.

Le Code civil suisse a gardé une seule trace de ces régimes d’entretien. Un enfant trouvé (ou un enfant abandonné, de parents inconnus) se fait en principe «incorporer» dans la commune sur le territoire de laquelle il a été découvert. Cela reviendra souvent – selon le droit cantonal applicable – à lui donner la bourgeoisie de cette même commune. Cette situation, rarissime aujourd’hui, voit la commune d’incorporation contrainte d’assurer l’entretien de l’enfant (art. 330 CC).

Ce sont, paradoxalement, les Suisses de l’étranger qui risquent le plus d’avoir recours à leur commune d’origine. La loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) fixe les autorités compétentes et le droit applicable lorsque des éléments internationaux compliquent les relations entre individus ayant pourtant un lien avec la Suisse. Cette loi répond à des questions comme celle de savoir quel droit doit régler le divorce d’époux mariés en France, de nationalité américaine et anglaise, mais vivant à Zurich. Extrêmement bien pensée, cette loi fait appel à de très subtils raisonnements1.

La LDIP utilise parfois le lieu d’origine comme rattachement pour fonder une compétence de juridiction. On voit ainsi le Suisse de l’étranger devoir déposer son éventuelle demande de changement de nom devant les autorités de son canton d’origine.

Mais le mécanisme le plus intéressant fondé sur l’origine est celui des fors2 subsidiaires en droit de la famille ou des successions. En raison de son Etat de résidence, un Suisse de l’étranger ne pourra parfois pas obtenir un certain effet juridique. Selon la formulation du texte légal, les autorités suisses seront compétentes lorsque l’action ou la requête «ne peut être déposée à l’étranger ou que l’on ne peut raisonnablement pas attendre qu’elle le soit». Cette dernière expression permet d’élargir la compétence aux impossibilités de fait, ou parfois socio-culturelles, liées à l’Etat de résidence du requérant.  De tels fors subsidiaires concernent les effets généraux du mariage (art. 47 LDIP), le divorce et la séparation de corps (art. 60 LDIP), la constatation et l’établissement de la filiation, autrement dit du rapport parent-enfant (art. 67 LDIP), l’adoption (art. 76 LDIP) et les successions (art. 87 LDIP).

Le cas le plus typique concerne le divorce. Il arrive qu’un couple dont l’un des époux est suisse vive dans un pays n’admettant le divorce qu’à des conditions très différentes des nôtres. Cela est très fréquent dans les pays de droit islamique. Ceux-ci connaissent notamment l’institution de la répudiation. N’offrant aucune protection à la répudiée, cette véritable expulsion de l’épouse du domicile familial est très inéquitable.

Pour cette raison, le Tribunal fédéral a prononcé en l’an 2000 le divorce d’un couple vivant entre le Liban et la Jordanie3. L’épouse avait ouvert action à Delémont, tribunal compétent en raison de la bourgeoisie de son mari suisse mais converti à l’islam. Un tribunal sunnite de Beyrouth avait déjà statué sur la séparation du couple. Mais le TF avait considéré qu’il ne s’agissait que de l’homologation judiciaire d’une répudiation, et non d’un divorce exprimant la volonté libre des parties. Le TF considéra de même que la répudiation violait l’ordre public suisse. Au nom de son récent domicile à Genève et de la nationalité suisse de ses enfants, la répudiée devait bénéficier de la protection de l’ordre public suisse.

En terres vaudoises, le lieu d’origine n’accorde plus de véritables droits ou d’obligations matérielles. Il demeure néanmoins un symbole fort de rattachement à un lieu précis, en particulier pour ceux ayant la chance de vivre encore sur place, ou d’y avoir des parents. Les bourgeoisies ne sont pas du folklore ou du sentimentalisme micro-patriotique. Nous avons vu leur intérêt juridique. Les bourgeoisies contribuent surtout à nous rappeler qu’un jour une famille s’est établie en un lieu, et y a pris racine. Elle a contribué à animer la vie locale. Pour une sombre raison, un aïeul s’en est éloigné. Il ne nous appartient que de faire pareil, là où nous vivons, ici et maintenant. Et pourquoi pas, lorsqu’on est originaire d’un village alémanique ou tessinois, demander la bourgeoisie de notre commune vaudoise?

Notes:

1 Une légende à laquelle les juristes tiennent beaucoup et qu'ils ne vérifient donc jamais est qu’elle est la seule loi que le Parlement fédéral n’a jamais amendée tant elle est complexe et aboutie.

2 En procédure, on appelle «for» le lieu où il conviendra d’ouvrir une action en justice. On parle parfois de compétence ratione loci, à raison du lieu.

3 ATF 126 III 327.

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