Contre un salaire minimum imposé par l'Etat
L'Union syndicale suisse a fait aboutir une initiative populaire fédérale demandant l'inscription dans la Constitution suisse d'un salaire horaire minimum de 22 francs, c'est-à-dire environ 4000 francs par mois, indexé sur l'évolution des salaires et des prix.
Les patrons jugent que les coûts de l'initiative seraient difficilement supportables pour certains secteurs de l'économie, l'agriculture, l'hôtellerie, les entreprises de nettoyage, ainsi que pour toutes sortes de petits emplois. Ils plaident pour que les salaires minimum continuent d'être fixés par les conventions collectives.
Les partisans de l'initiative répondent qu'ils restent acquis au principe des conventions collectives et que leur initiative n'est que subsidiaire. C'est bien la question: le régime des conventions collectives, négociées entre les représentants des employés et des employeurs, peut-il durablement cohabiter avec l'intervention de l'Etat dans la politique salariale?
Le système des conventions collectives est aussi complexe et changeant que la réalité. Les négociateurs prennent mille facteurs en compte, notamment la conjoncture économique, les besoins des travailleurs, la situation des entreprises de la branche, les conditions particulières du canton ou de la région, leur évolution probable. En un mot, le système repose certes sur les lois du marché, mais il les humanise, il les civilise par des accords loyaux entre les partenaires sociaux. C'est un système délicat qui forme un tout. Il exige des négociateurs une imagination, une bonne volonté et une vue d'ensemble obstinément renouvelées.
Le recours à des normes unifiées, imposées par l'administration et évoluant selon des formules prévues d'avance, semble infiniment plus simple: la mécanique prévue par l'initiative fonctionnera toute seule, elle épargnera désormais à ses promoteurs l'examen minutieux de la réalité, le débat incertain et les décisions délicates.
Pour les patrons aussi, le dialogue social peut être une source de préoccupation. C'est une discipline qu'ils s'imposent au nom d'une vision supérieure de l'ordre social, ou parce que des usages bien ancrés leur en font une obligation, ou encore parce qu'ils en reconnaissent les bienfaits économiques dans la durée. Mais cela complique leur tâche et, à court terme, réduit leurs marges. Pourquoi ne pas en revenir au marché pur et dur, tellement plus simple, qui réduit les personnes à leur force de travail et les relations humaines aux obligations juridiques minimales? Certains se posent la question.
L'initiative contribue ainsi, contre l'expérience et le bon sens, à affaiblir le subtil et fragile équilibre d'intérêts défendus et de sacrifices consentis que les partenaires sociaux s'efforcent d'entretenir et de faire respecter. Il s'y substitue, pour le malheur des uns et des autres, un mélange barbare d'étatisme et de chacun pour soi.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 28 janvier 2014)