Dérives diverses discréditant la démocratie directe
Le 6 décembre dernier, 24 Heures publiait un éditorial de Mme Lucie Monnat intitulé «Non à la cheap démocratie». Il était consacré aux carences de trop de ces jeunes qui récoltent dans la rue des signatures pour des référendums ou des initiatives: méconnaissance du sujet, argumentation défectueuse, contradictions, mensonges. Mme Monnat a cent fois raison de dénoncer un procédé qui déconsidère l’institution. Mais il y en a d’autres.
Ainsi de l’instrumentalisation de la démocratie directe par les grands partis. Il y a quelques années, le président d’un de ces partis annonçait le lancement de quatre initiatives, ajoutant que les thèmes de deux d’entre elles étaient déjà connus. C’était avouer que, pour les deux autres, on avait décidé de lancer avant de savoir ce qu’on lancerait!
La démocratie directe est un précieux instrument de contrôle, qui permet au peuple de corriger les erreurs et les excès de ses élus. Quand ceux-ci la récupèrent à des fins de propagande électorale, c’est un détournement des institutions. Et ici, on ne parle pas de jeunes ignorants se faisant un peu d’argent de poche, mais de vieux briscards de la politique, conseillés par des professionnels de la communication.
Une autre dérive provient de ce que certains élus fédéraux rechignent à reconnaître la force contraignante de la démocratie directe. Ils l’ont manifesté exemplairement en maltraitant l’initiative sur l’immigration de masse, acceptée en 2014 par le peuple et les cantons. Ils n’ont pas hésité à passer par-dessous la jambe les éléments clefs du texte, au point que même des opposants à l’initiative s’en sont émus. Une conseillère nationale a tenté de donner une forme doctrinale à cette forfaiture, expliquant laborieusement que le peuple n’était qu’un organe du pouvoir parmi d’autres, qu’il avait certes le droit d’exprimer son sentiment, mais que les questions essentielles de la politique fédérale échappaient à sa compétence.
Il faut être cohérent. La démocratie moderne repose sur l’idée que le peuple est souverain. C’est de lui que procède la légitimité du pouvoir. Les parlementaires fédéraux savent assez nous rappeler qu’ils sont nantis de cette légitimité, ce qui en fait les mandataires privilégiés du peuple. Mais voilà, on attend d’un mandataire qu’il exécute la volonté de son mandant, même si elle ne lui convient pas. Au pire, il peut démissionner, mais en aucun cas contester celui qu’il prétend représenter.
En stipendiant des mercenaires qui récoltent les signatures à leur place, en instrumentalisant le référendum et l’initiative à des fins électorales, en refusant de respecter une décision formelle du souverain, ce n’est pas seulement la démocratie directe que les politiciens des partis déconsidèrent, c’est le système tout entier… et leur propre action politique.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 10 décembre 2019)