Résistances françaises à l’«union sacrée»
Contre le virus, plusieurs gouvernements en ont appelé à l’«union sacrée». L’appel à l’union est un grand classique de la communication, un «éléments de langage» fondamental des temps de crise. Il fait courir dans les veines du citoyen un frisson historique qui lui fait oublier ses problèmes particuliers au profit de l’intérêt général. Aujourd’hui, le président Macron y recourt auprès des Français, car «nous sommes en guerre» et c’est «ensemble» que nous vaincrons.
L’appel à l’union va-t-il toucher les racailles qui, en toute occasion, veulent la casse et le désordre? Sera-t-il efficace dans les régions en situation de mort économique ou démographique, ou auprès de tous ces gilets jaunes qui n’ont jamais obtenu de l’Etat la moindre marque d’intérêt, ou dans les banlieues où une bonne partie des habitants ignorent tout simplement ce que c’est que la France? Quant aux «antifas», aux communistes et aux «identitaires», ne verront-ils pas avant tout, dans la crise, une situation prérévolutionnaire à radicaliser?
L’appel passera d’autant plus difficilement qu’il est lancé par une caste cynique et privilégiée qui, tous partis confondus, ne se soucie guère de participer, fût-ce symboliquement, aux sacrifices qu’elle impose à la population.
Pour l’Etat, en revanche, l’union qu’il appelle autour de lui ne présente que des avantages. Court-circuitant les contre-pouvoirs ordinaires, communaux, syndicaux, médiatiques, parlementaires, elle lui donne les pleins pouvoirs de fait. Elle transforme en trahison toute critique à son égard, même sur des questions sans rapport évident avec les motifs de l’appel. Ultérieurement, enfin, la prétendue union permettra de diluer les responsabilités: tous unis, moralement et financièrement, pour répondre des erreurs du gouvernement!
Quand le sentiment d’identité nationale est fort et conscient, y compris dans la vie quotidienne, l’appel à l’union de crise, avec les sacrifices individuels qu’il annonce, apparaît à tout individu normalement constitué comme une conséquence naturelle de son appartenance à la communauté. Il en va tout autrement quand le président et ses courtisans parlent et agissent constamment comme si ce sentiment d’appartenance nationale était dépassé, que l’évocation de l’histoire de France n’était qu’une occasion de jouer la repentance aux dépens des générations précédentes et que l’existence même des frontières attentait à la morale universelle.
Le refus gouvernemental de la primauté explicite de l’intérêt national induit le citoyen lambda à se comporter en électron libre et à ne s’occuper que de ses seuls intérêts. L’appel à l’union se présentera à lui sous la forme d’une seule question: comment ne pas en être le pigeon? C’est d’abord hors des crises qu’il faut soigner l’unité de la nation.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 12 mai 2020)