Deux questions à propos d’une fusion communale
La petite commune d’Essertes s’apprête à décider si elle fusionne ou non avec sa grande voisine d’Oron. Cette fusion-absorption pose deux questions. Essertes existe depuis plus de deux siècles, ce qui représente un capital cumulé de personnalités truculentes, d’événements mémorables, de décisions risquées, d’engagements bénévoles, voire de sacrifices personnels. Tout cela a façonné la vie de la communauté et engendré chez l’habitant un certain esprit de service qui se déploie dans le cadre de l’autonomie communale.
En fusionnant, chaque citoyen d’Essertes, même s’il ne s’en rend pas compte, perdra un peu de cette appartenance originale, un peu de cette maîtrise du quotidien. La commune conservera certes le souvenir de son passé, mais sous la forme d’un récit désormais clos. Les armoiries subsisteront, mais comme une décoration et non plus comme l’affirmation d’une réalité politique. La première question est dès lors celle-ci: cette liberté communale, héritage des générations précédentes, scrupuleusement préservée par elles, a-t-on le droit de la bazarder sans nécessité absolue?
Cette question relève de l’affectif, nous dira-t-on. Soit, mais pourquoi l’affectif ne devrait-il pas être pris en compte lorsqu’il s’agit d’une communauté humaine? Les chiffres sont-ils d’ailleurs plus sérieux et plus durables? De fait, ils sont plus volatiles encore que les sentiments.
La seconde question est politique. Plus d’un dixième des habitants font partie du Conseil général d’Essertes. Il leur a suffi de prêter serment pour y entrer, ce qui leur a évité la concurrence électorale et les divisions partisanes. Les conseillers généraux décident à un niveau qui leur est accessible et sur des points qui les concernent directement. Ils acceptent de faire partie des mille commissions qui sont réélues chaque année, qui vont des finances à l’élimination des déchets carnés en passant par la distribution des eaux et les recours en matière numérique. Cela représente un filet au maillage serré jeté sur les affaires publiques.
Ce maillage de responsabilités personnelles que connaissent toutes les communes à Conseil général est précieux pour l’Etat de Vaud: autant de problèmes réglés au bon niveau sans qu’il lui soit besoin d’intervenir (soit dit en passant, les conseillers d’Etat vaudois devraient essayer d’en convaincre leur administration)!
A la place des quarante-six membres de son Conseil général, le quartier périphérique d’Essertes n’enverra que cinq membres au Conseil communal d’Oron, les autres quarante-et-un étant renvoyés à leur affaires privées. En ce sens, toute suppression d’un Conseil général, par fusion ou autrement, représente un appauvrissement de la substance politique du Canton. C’est la deuxième question: faut-il vraiment consentir à cet appauvrissement?
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 10 novembre 2020)