Les vins vaudois ne sont pas des paquets de cigarettes
Voici qu’à peine l’initiative contre la publicité sur le tabac acceptée, la prochaine étape pointe le bout de son nez. Aujourd’hui même, le Parlement européen se penche sur un rapport de sa commission spéciale sur la lutte contre le cancer. Celui-ci préconise d’imposer aux producteurs de faire figurer sur les étiquettes de vin et d’autres alcools un avertissement «Le vin nuit à votre santé», sur le modèle des paquets de cigarettes.
L’OMS serait aussi à la manœuvre, rapportait «Le Temps» du 12 février 2022. Elle voudrait adopter une «stratégie mondiale visant à réduire l’usage nocif de l’alcool». Ce ne sont-là que des débuts, mais des débuts inquiétants.
Même si Suisse ne fait pas partie de l’Union, cette législation ne manquera pas de créer de nouveaux problèmes à nos vignerons. Au nom du marché libre, la Suisse subira des pressions pour imposer les mêmes restrictions. Les puissants syndicats vitivinicoles français supporteront mal que dans nos supermarchés leurs nectars soient désignés comme cancérigènes sans que les nôtres ne le soient à leur tour. Préparons donc la résistance.
Imaginerait-on les étiquettes des vins vaudois flanquées d’un avertissement? Ou pire, de la photographie d’un foie cirrhotique? Elles sont partie intégrante de notre patrimoine artistique. Pensons aux dessins mythiques de Frédéric Rouge: le lézard vert d’Aigle, le brantard à la pipe du Clos des Abbayes, l’accueillant caviste d’Ollon. Il y a des graphismes intemporels comme le sceau rouge et les lettres d’or du Chemin de fer. Ou de mystérieuses silhouettes, comme la Médinette de Bovard ou les satyres dansants de Begnins…
Bien sûr l’alcool peut faire des ravages. Le nier serait absurde et faux. Mais ces bouteilles et les rites qui les accompagnent sont en eux-mêmes un appel à la modération et à la mesure. Celles-ci se vivent au quotidien, dans la pénombre d’un caveau du Nord, ou au soleil de Lavaux. Le vin est communautaire par essence et par tradition. De l’Eucharistie à la Fête des Vignerons, en passant par l’apéritif du samedi, il accompagne la vie des Vaudois. Qu’il se boive d’abord en groupe assure une surveillance sociale de sa consommation, y compris la détection des cas problématiques.
De Londres aux coteaux valaisans
Depuis leurs bureaux aseptisés, l’OMS et l’UE ordonnent au monde de modérer sa consommation. Réalisons-nous combien cela est ridicule? À qui prétendent-elles s’adresser? Au trader buvant sa pale ale dans un pub de la City, au paysan tchèque dégustant sa slivovitz, ou au vigneron valaisan accueillant ses clients?
Faisant cela, l’OMS et l’UE cèdent à une tentation bien plus grave que l’alcool. Elles réduisent nos vies à des chiffres et des diagrammes. Oubliant les spécificités locales, elles s’abandonnent à la tentation de la maîtrise absolue et mondiale. Cela est de la vraie démesure. Comme un autre cancer qui rongerait nos mœurs et nos libertés.
(Félicien Monnier, 24 heures, 15 février 2022)