La littérature est utile à la politique
La présidentielle française m’a rappelé combien, quoi qu’on pense de l’homme et de son action, le président François Mitterrand était un immense lecteur, augmenté d’un bibliophile éclairé.
Intuitivement, on se dit qu’à côté de «connaître ses dossiers», l’homme d’État se satisfera à bon compte d’un peu de science politique, d’un brin de sociologie et d’une once de philosophie. Et que cela est en fait déjà beaucoup demander.
Depuis ses débuts, la Ligue vaudoise consacre une grande énergie à la réflexion politique. On y lit et publie beaucoup, des livres et des articles. Nos membres mêmes les plus jeunes consomment en nombre des essayistes d’horizons et d’époques variés. Mais il m’arrive de leur rappeler de lire, aussi, de la littérature.
Récemment, lors de deux de nos conférences hebdomadaires, nous avons reçu un romancier romand qui s’est attelé à comprendre, dans son dernier livre, la France des Gilets jaunes. Deux semaines plus tard, l’un de nos membres a parlé de l’histoire de la science-fiction, et des messages qu’elle a pu porter.
Ce serait une gravissime erreur que de restreindre la littérature à du divertissement – ce qu’elle peut par ailleurs aussi être – et de la maîtriser en conséquence. Il est des éclairages sur notre société que la littérature seule peut offrir. Prenons deux exemples d’actualité.
Les très récentes élections cantonales susciteront assurément certains ressentiments personnels. Ces rancœurs pourraient donner à la volonté de vengeance une certaine actualité. Est-il possible de sonder, sous toutes ses facettes, cette passion aussi bien que «Le comte de Monte Cristo» d’Alexandre Dumas? Même la plus fouillée des expertises psychosociales ne révélera pas le caractère d’Edmond Dantès avec la même précision et la même nuance.
À l’heure où l’Ukraine redevient ce vieux champ de bataille de l’Europe, ne serait-ce pas l’occasion de relire «Guerre et Paix» de Tolstoï? Peut-être sa description des généraux russes sous le feu napoléonien permettra-t-elle de saisir un peu mieux les ressorts de ce conflit. Notamment cette tension, chez les Russes, entre planification opérative de très haut vol, difficultés de personnel et de discipline sur le terrain, et rêveries impériales.
La meilleure formation à la rhétorique
Nous pourrions citer encore cent exemples. Mais là ne résident pas les seuls intérêts politiques de la littérature. À côté du propos, il y a le style et la langue. Savoir s’exprimer est une vertu cardinale pour qui exerce le pouvoir. La maîtrise de la ponctuation, c’est la maîtrise du rythme et du silence. Qui les tient en main tient aussi, par son discours, la pensée de son auditeur. Ainsi, la lecture demeurera sans doute encore longtemps la meilleure formation à la rhétorique et à l’argumentation. La moins chère aussi. Convaincre ou combattre son adversaire revient très souvent à raconter une histoire.
Et si, maintenant, vous entriez chez un libraire?
(Félicien Monnier, 24 heures, 12 avril 2022)