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Actualités  |  Mardi 26 mars 2024

Comme un sentiment de dépossession

Nous sommes de chair et de sang. Nous appréhendons physiquement notre environnement. Mais nous sommes aussi des êtres d’esprit. L’homme a cette double faculté de simultanément toucher et penser son environnement.

Ainsi en va-t-il de nos relations. Elles ancrent la personne dans une communauté, où elle côtoie non seulement des êtres physiques, mais des parcours intimes, familiaux ou politiques. Cette communauté a ses règles et ses habitudes. On parlera de droit et de mœurs. Elle a ses hiérarchies: sociales, militaires, professionnelles. Elle a ses croyances et ses rites collectifs, du christianisme et de ses déclinaisons postmodernes à la Fête des Vignerons.

Elle a son territoire et ses institutions. Le premier est l’aire matérielle dans laquelle nous évoluons au quotidien. À l’école, on en a appris les cartes et les noms. En famille, on en a découvert les sentes et les quartiers. Les secondes sont les cadres de l’exercice du pouvoir: de l’assemblée d’une modeste amicale au sommet de l’État. Terre, institutions, histoire, mœurs et personnes, toutes se mélangent dans le terreau de la nation par les mille liens qui les attachent les unes aux autres. À travers ces liens, la personne existe pleinement et se découvre citoyen.

Mais ce tableau est bien écorché. Et chacun a déjà ressenti, au fond de lui-même, comme un sentiment de dépossession, cet arrière-goût amer que la maîtrise et la compréhension de ce qui l’entoure lui échappaient.

Les nuées de pendulaires absorbés par leur téléphone, envoûtés par le défilement des images, plus qu’une dépendance, révèle la création d’un nouveau type de relations: impersonnelles, globales, consommables.

Les burn-out à répétition qui marquent la vie professionnelle témoignent à leur tour de cette déconnexion. Trop de jobs laissent un goût d’inutilité, d’ailleurs bien incapable de justifier la pression insensée qui les accompagne. Les revendications des paysans sont exemplaires de la manière qu’une profession peut avoir eu d’être dénaturée, détournée de sa finalité et noyée sous les exigences abstraites et incompréhensibles de la bureaucratie.

La dépossession sera aussi culturelle, non seulement sous les coups de la pression migratoire qui progressivement infléchit nos mœurs, mais aussi dans l’absorption par les jeunes générations d’un magma culturel américano-asiatique, fait de TikTok et de téléréalité floridienne.

Le remède existe. Il suppose d’abord de ne pas désespérer. Et ensuite de se plonger dans ce qui existe encore de tangible autour de nous, pour le défendre et le promouvoir. Cela exige une discipline d’autant plus dure que la solitude pourra guetter. Ouvrez les yeux sur votre histoire, familiale et nationale. Découvrez le pays. Parcourez ses chemins. Apprenez les noms de ses bourgs et de ses rivières. Transmettons cet héritage, et la maîtrise reviendra.

(Félicien Monnier, 24 heures, 26 mars 2024)