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Actualités  |  Mardi 21 novembre 2023

Lettre ouverte à la députation vaudoise à Berne

Le fracas des armes électorales s’est enfin tu, et vous voilà à Berne. Ceux qui connaissent la musique commenceront par s’asseoir, soulagés, dans leur ancien fauteuil de cuir vert. D’autres auront hâte de grimper, triomphants, dans un wagon de première classe pour aller élire le Conseil fédéral.

Avec un peu de chance, l’opinion publique vantera avec un égal enthousiasme votre capacité à «faire des compromis» et votre «vision sans compromis de la politique nationale». Avec encore plus de chance, un journal alémanique vous sacrera «Romand le plus influent des Chambres». On se demandera si vous avez l’étoffe d’un conseiller fédéral, ou si vous pouvez prétendre présider la Commission de gestion. Dans quatre ans, vous serez un sortant.

La législature connaîtra ses grandes affaires. Entre le Covid et l’Ukraine, la précédente ne fut pas en reste. La détérioration de la sécurité mondiale ne vous épargnera pas. Les coûts de la santé vous donneront des cheveux blancs, comme le moment où vous devrez justifier votre revirement sur le nucléaire.

Mais le cœur des enjeux des quatre prochaines années se situe ailleurs: dans l’image que vous vous ferez du parlement, et le rôle que vous lui attribuerez.

À Berne, l’ambiance générale est à la professionnalisation des parlementaires. Ce phénomène dépasse leur seul emploi du temps. C’est tout un microcosme qui s’agglomère autour de ce processus. Les réseaux sociaux suivis par votre jeune assistant feront de chaque jour de session une nouvelle journée électorale. Des lobbyistes en tous genres dragueront votre estime et les plages de votre agenda. Les fils d’information en continu nourriront vos névroses et justifieront toutes les gesticulations.

Vous constaterez un phénomène d’autogonflement de l’activité fédérale. De postulats en projets de loi, l’activité de vos collègues fera s’étoffer le volume du droit suisse. À l’image de la nouvelle loi sur l’énergie actuellement combattue en référendum, vous vous mêlerez de plus en plus de questions ultratechniques. La presse ne manquera pas de vous en féliciter, au motif que «vous connaissez vos dossiers». De temps à autre, l’invocation de la clause d’urgence vous donnera l’occasion de prouver votre détermination.

Ces tendances, de même que l’ambiance générale, sont riches de dérives centralisatrices et bureaucratiques. Les déséquilibres politiques induits sont profonds: par exemple, la petite taille du Conseil des États a fini par en faire un démultiplicateur des logiques partisanes, et non plus une Chambre des cantons.

Pour renverser la vapeur, la seule solution est de ne voir la Confédération que pour ce qu’elle est: une émanation des cantons. Cela implique de refuser de se couper d’eux et de systématiquement rappeler et défendre leur souveraineté. Mais plus le pouvoir fédéral est proche, plus il sera difficile de résister à sa force d’aspiration. Là résidera le vrai courage.

(Félicien Monnier, 24 heures, 21 novembre 2023)