Les autres remèdes à la professionnalisation des Chambres fédérales
Il y a quelques jours, Isabelle Chassot a qualifié le parlement fédéral de milice de «légende urbaine» au micro de Radio Fribourg. Dans ces colonnes, le professeur genevois Pascal Sciarini a fourni l'évolution des chiffres du temps que les députés fédéraux consacrent à leur mandat. À l'en suivre, presque tous seraient désormais des professionnels de la politique, en ce qu’ils y consacrent la majorité de leur temps.
Ajoutons que beaucoup de parlementaires exercent à côté de leur mandat une activité parapolitique, associative, syndicale ou patronale. Elle est généralement rémunérée.
La surreprésentation des indépendants au sein des Chambres démontrerait qu'elles ne sont pas représentatives de la société suisse. Pourtant, il n'est pas étonnant qu'un parlement, même de milice, ne soit en fait pas représentatif.
D'abord parce que la surreprésentation des indépendants ne dépend pas que de la liberté que leur concède leur activité. Certaines professions développent une inclination à la politique qui leur est propre. Ainsi en va-t-il des avocats, habitués des institutions, et des agriculteurs, qui embrassent chaque jour l'espace et le temps, qui sont les matières centrales de la politique. La démocratie parlementaire crée par nature des oligarchies.
Ensuite, celui qui exige qu'un parlement soit représentatif n'a encore rien dit. De quoi ce parlement doit-il être représentatif? Des cantons, des villes, des régions, du «peuple suisse»? Ou doit-il relayer des intérêts, ceux des cyclistes, des consommateurs ou de la pharma? Enfin, l'ensemble du système est centré autour des partis. Ils font du parlement un vaste chaudron représentant d'abord des idées.
Les violentes querelles partisanes dont est victime le Conseil des États, originellement conçu comme la «Chambre des cantons», illustrent ces confusions. Il en découle d'innombrables accusations de collusion et de lobbyisme opaque.
D'aucuns affirment que mieux rémunérer les députés, leur adjoindre plus de collaborateurs et renforcer les services du parlement rendra ce dernier plus représentatif et consacrera une professionnalisation que personne n'accepte de voir pour le moment. Cela revient à soigner les symptômes au lieu des causes.
Un parlementaire trop occupé est un parlementaire à qui l'on a donné trop de pouvoir. Cela est particulièrement visible dans notre régime fédéraliste. Si les agendas des députés gonflent, c’est d’abord parce que les compétences de la Confédération gonflent sans cesse. Ensuite, c'est à cause de la suractivité des députés eux-mêmes, incités à se fabriquer un «bilan à défendre aux élections». À la fin, cette boulimie législative intervient au détriment des souverainetés cantonales. Lutter contre la centralisation à Berne revient à lutter contre la professionnalisation des députés qui y siègent et, surtout, contre leur inexorable déconnexion des réalités confédérales.
(Félicien Monnier, 24 heures, 10 octobre 2023)