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Actualités  |  Mardi 25 avril 2023

Petit éloge du poste-frontière

M. Loïc Hervé, sénateur de Haute-Savoie, a récemment interpellé son gouvernement en faveur de la suppression des postes-frontières franco-genevois. Ils seraient responsables des embouteillages subis par des milliers de frontaliers. La frontière franco-belge – l’une de ces frontières de l’Union européenne que ne marque qu’un petit panneau sur une glissière d’autoroute mouillée de brume – lui sert de modèle. Il voudrait voir se créer, autour de Genève, «une agglomération de vie». Il pousse à «réfléchir à une frontière fluide».

Une frontière marque une fin, dans toutes les acceptions du mot: fin comme «but» et fin comme «terminaison».

Le but, la frontière l’assigne à nos autorités en délimitant le territoire de leur juridiction. En fixant dans l’espace la sphère d’épanouissement du pouvoir politique, la frontière dessine les contours physiques de sa responsabilité. Sans frontières, l’action politique est inefficace et se résume à un coup d’épée dans l’eau, l’onde de choc s’évanouissant à l’infini – justement. Mais d’où vient-elle cette limite juridique à la si grande portée?

L’espace que délimite une frontière se résume à deux éléments: une communauté et un territoire. Pour les familles qui le peuplent, «habiter un territoire» signifie de l’avoir – au fil des siècles – fait leur, dans un geste de lente appropriation. L’histoire tient naturellement un rôle de premier plan. On découvre en l’étudiant de fascinantes continuités. Les limites de certaines seigneuries médiévales constituent aujourd’hui des frontières communales, cantonales ou fédérales. Parfois les trois à la fois. Elles mettent en évidence des centres de pouvoir et des zones d’influence. Elles rappellent des querelles de voisinage et des mariages de raison, des batailles sanglantes et des congrès pleins de diplomates murmurants.

L’écrivain lillois Jérôme Leroy, évoquant dans l’un de ses romans ces mornes frontières du Benelux, regrettait la disparition «du plaisir presque physique de franchir une frontière». Le poste-frontière ne sert pas que de bureau de douane. Même fermé et inoccupé, il matérialise dans l’espace la soumission à un nouveau souverain, avec ses traditions et institutions propres.

Premier et dernier bâtiment étatique que l’on verra en quittant un pays, le poste-frontière est symboliquement un bâtiment important. Et M. Hervé, au lieu de demander leur suppression, pourrait inviter son gouvernement à embellir les tristes cahutes ovales aux crépis fatigués avec lesquelles la France accueille les voyageurs. Que les drapeaux claquent au vent! Que les douaniers portent la main au képi! Insistons sur ces franchissements. Voyons le poste-frontière comme la marque visible de ces nations qui constituent l’Europe. Leur mosaïque est ce qui fait de nous des Européens. Pas le fait d’appartenir à des «agglomérations de vie».

(Félicien Monnier, 24 heures, 25 avril 2023)