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Notre patois

Jean-François Cavin
La Nation n° 1883 26 février 2010
Les amateurs de patois vaudois trouveront dans une récente publication un abrégé de ce que l’honnête homme d’ici se doit de savoir sur notre ancien parler. Réseau Patrimoines, Association pour le patrimoine naturel et culturel du Canton de Vaud1, a fait paraître à fin 2009 un fascicule d’une centaine de pages groupant une vingtaine de contributions de fins – et souvent savants – connaisseurs de la matière.

Après une préface de Gilbert Coutaz, directeur des Archives cantonales, sur le patrimoine immatériel, les linguistes Albin Jaques et François Zufferey situent le patois vaudois et les patois romands dans l’univers des langues occidentales, à partir des racines indo-européennes et du tronc gallo-roman, en passant par la branche franco-provençale, jusqu’aux rameaux de nos langages. Henri Chevalley évoque les glossaires de l’infatigable doyen Bridel, dont les étymologies font parfois sourire le linguiste d’aujourd’hui, mais qui n’en a pas moins fondé le recueil systématique de parlers déjà en voie de perdition au début du XIXe siècle. Pierre Guex évoque l’élocution, ainsi que la grammaire, et présente des textes patois anciens; il nous reste peu d’écrits; le plus vieux texte suivi qu’on connaisse remonte à 1520 environ et fait partie d’un ensemble de farces jouées à Vevey. Un des personnages vient de trouver un trésor caché en terre et s’écrie: Yot promettot a Sint Groguerro din fere restitucion et lot mettrj fur de preson fur de terra et lot dependrj jntault faczon yot leczandrj que tot lo monde le aret part tot promix lot fault decrota. Vous avez compris que ce malin jure d’en faire profiter la communauté en le dépensant lui-même, si bien que tout le monde y aura part. Cette promesse à saint Grégoire constitue probablement une des premières leçons pré-keynesiennes de relance par la consommation.

De manière plus institutionnelle, la brochure présente la Commission cantonale de nomenclature (des lieux-dits), à laquelle appartint notre collaborateur feu Paul Burnet, les personnalités patoisanes, les archives écrites, les archives sonores de la Radio romande. Plusieurs autres contributions, notamment de l’ethnologue Paul Hugger, de Norbert Furrer, de Marie-Louise Goumaz bien sûr, d’Henri Niggeler et j’en passe, éclairent divers aspects du sujet. Arrêtons-nous à deux articles qui ne manquent pas de saveur.

Dans une contribution sur les patronymes et le patois, Alain Pichard évoque l’origine des noms de famille: les patronymes de filiation (Jean fils de Girard, devenu Jean de Girard ou Jean à Girard, puis Jean Girard), les patronymes issus de noms de lieux (les Croset venus d’un creux, les Fonjallaz voisins d’une fontaine souvent gelée en hiver), les noms de métiers ou de fonctions (les Monnier meuniers, ou le Maillard encaissant les taxes en petite monnaie, la maille – le Maillard actuel visant plutôt à soutirer de gros billets à qui en possède), les surnoms (Pittet le petit, et Mermoud qui viendrait peut-être de minimus via le franco-provençal). On trouve souvent l’équivalent en français d’oïl, mais la tournure tient fréquemment à notre patois (bouleau - biolle – Bioley). Et la connaissance du patois est parfois indispensable pour comprendre un nom. Car si certains s’expliquent d’eux-mêmes (les Delacrétaz voient forcément les choses de haut cependant que les Cavin n’atteignent guère le niveau du sol), d’autres dérivent de vocables oubliés. Le terme gagner, par exemple, signifiait autrefois labourer. Gagnebin n’est donc pas au bénéfice d’un joli revenu (même si un excellent banquier porte ce nom), mais s’est illustré comme un laboureur hors pair.

Dans son article sur la toponymie dialectale, Hervé Chevalley montre aussi que la connaissance du patois est nécessaire à l’explication de divers lieux-dits. Il pourfend d’ailleurs des toponymistes «fantasmatiques» qui font remonter certains noms à des racines anciennes et fabuleuses, celtiques notamment (on a connu quelques celticolâtres), sans nulle base scientifique. Tel autre amateur imaginatif, s’interrogeant sur les origines de la Bourrattaz à Blonay, se réfère notamment au vieux français boure, le canard, alors qu’on n’a jamais parlé chez nous ce vieux français! Notre patois, en revanche, connaissait le verbe bourata (battre la crème) et le ryo de la bourata est peutêtre ainsi nommé parce que ce ruisseau fait par endroits un bruit semblable à celui d’une baratte à beurre. Les Ecovets, à Chesières, trouvent sans doute leur origine dans le patois ecova (balayer), s’agissant d’un plateau balayé par les vents. Courseboux, sous Grandvaux, viendrait du patois cousi ou coursi (faire du vent et de la neige, neiger en tourbillon) et boux (pour bois), rappelant que la forêt descendait autrefois jusqu’au lac et qu’il faisait cramine à cet endroit d’où proviennent aujourd’hui de bons crûs, frais en bouche.

Le patois vaudois demeure peut-être parmi nous comme une ombre portée, comme un esprit flottant sur l’expression et l’oralité d’ici, la travaillant de l’intérieur et à son insu, comme le suggère Daniel Maggetti, et cela même dans la littérature. Mais il n’est plus pratiqué que par quelques rares personnes. Il est devenu l’affaire de linguistes, qui ont le mérite de maintenir la connaissance d’une des sources de notre parler, d’une sorte d’«âme cachée» de la langue des Vaudois (D. Maggetti). Car, comme l’écrit si bien Marie-Louise Goumaz: Lo patois l’a ètâ lo dèvesâ de noûtrè z’anchan. L’a contâ lâo bounheu, lâo malapanâïe, lâo veindzeince po balyî la vyà, fére à trotsî, allâ ein-an maugrâi lè maumenâïe. Merete d’ître honorâ po que salye dâo rancot.

 

NOTES:

1 Réseau Patrimoines, Association pour le patrimoine naturel et culturel du Canton de Vaud, Case postale 5273 – 1002 Lausanne – www.reseaupatrimoines.ch

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