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Occident express 35

David Laufer
La Nation n° 2127 19 juillet 2019

On ignore trop souvent la raison première qui a poussé les législateurs, il y a environ un siècle et demi, à rendre l’école obligatoire. Il ne s’agissait pas tant d’apprendre aux chères têtes blondes à écrire et à compter – cela aussi bien sûr, puisqu’il fallait assurer la continuité de l’Etat et de la machine industrielle. Mais la vraie raison, c’était l’enseignement de l’histoire. En pleine explosion nationaliste, les Européens devaient former les nouvelles générations dans la certitude de leur identité, de leur provenance et de leurs frontières. Leur outil principal, c’était l’histoire. L’histoire qu’écrivaient des Michelet ou des Georges-André Chevallaz, l’histoire épique, où les blancs sont systématiquement remplis par des a priori positifs ou de grossiers mensonges. L’un des résultats de cet endoctrinement sur la durée – outre la consolidation des haines mutuelles – a été cette idée que les frontières actuelles sont désormais figées, qu’elles correspondent à une forme de fatalité ou de justice cosmique. Tout atlas historique les voit courir sous les cartes des empires disparus, des comtés ou des duchés, tous apparaissant comme d’imparfaites ébauches d’un présent idéal. Mais imaginez que vous vous promeniez à Nice et que vous puissiez vous dire: il y a vingt ou trente ans, sur cette Promenade des Anglais, on était en Suisse. Chaque fois que je me rends sur la petite île de Hvar, au sud de la côte dalmate, grande comme un Léman d’oliveraies et de vignobles ocre, je n’arrive pas à me départir de cette banalité. Il y a trente ans, ici, on était en Yougoslavie. On parcourait les 500 kilomètres qui nous séparent de Belgrade sans traverser une seule frontière, on payait avec la même monnaie, on mangeait les mêmes petits gâteaux secs, on s’acquittait des mêmes impôts, on servait les mêmes généraux. L’histoire, ici, est bien vivante, un peu trop peut-être. Pour les habitants de Hvar toutefois, ces insulaires affables et peu impressionnables, rien de tout cela n’est nouveau. Il y a 2’400 ans, ils furent des Grecs immigrés, puis ils furent romains, puis wisigoths, puis vénitiens, puis Ottomans (oh, pour une seule année, en 1571, juste avant la défaite du Sultan à Lépante), puis italiens, puis autrichiens, puis yougoslaves royalistes, puis italiens fascistes, puis yougoslaves communistes, puis enfin croates. Peuples heureux, pour lesquels les historiens sont inutiles. Sur ce petit éden, civilisé depuis deux fois plus longtemps que Paris ou Londres, c’est la mer, et non pas l’histoire, qui se charge de définir leur identité. Et cette mer, en plus d’être merveilleuse et cristalline et nourricière et scintillante au soleil du soir, cette mer est indiscutable.

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