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Le Davel de nos artistes

Jean-François Cavin
La Nation n° 2166 15 janvier 2021

L'entreprise étrange et noble de Jean Daniel Abraham Davel, propriétaire terrien, notaire, soldat et mystique, a tout pour inspirer nos créateurs. Et c'est par dizaines que l'on compte les œuvres évoquant la vie et la mort du major: outre les historiens, les dramaturges, les essayistes, les poètes, les musiciens, les peintres, les sculpteurs ont représenté le patriote, décrit ou illustré sa carrière et son sacrifice, commenté son attitude, enraciné le personnage dans le quotidien des Vaudois ou canonisé sa mémoire. On a vu en lui un audacieux, un illuminé, un prophète, même une figure christique. A vrai dire, son histoire est par moments si incroyable qu'on serait près d'y voir un mythe, si l'existence terrestre de l'homme n'était pas bien documentée.

C'est à décrire cette «iconographie» des lettres, de l'image et de la musique que s'est voué M. Antonin Scherrer, historien de formation avant de devenir le musicographe au savoir inépuisable sur notre passé musical que l'on apprécie tant; il en résulte un beau et grand livre richement illustré, dont la parution devait accompagner la création du Davel de René Zahnd et Christian Favre à l'opéra de Lausanne. Partie remise pour cause de pandémie s'agissant de l'œuvre lyrique; mais le livre, étant prêt, a paru.

M. Scherrer n'entend pas refaire l'histoire de notre héros vaudois – mais les événements de 1723 sont présents en filigrane, certains épisodes même évoqués très précisément sous la plume d'historiens cités dans l'ouvrage pour cadrer les œuvres d'art. Et cette présentation ne commence pas au XVIIIe siècle – LLEE avaient étouffé et clos l'affaire qui, certes relatée par un certain Barthélémy Barnaud, pasteur à Rossinière, n'était évoquée que sous le manteau – ni même au moment de la révolution de 1798 et de la création du Canton en 1803; car les artisans de l'indépendance ne s'y référèrent guère – sauf des velléités inabouties de La Harpe. Probablement étaient-ils inspirés par les idées nouvelles venues de France davantage que par l'action purement vaudoise du visionnaire de Cully; peut-être aussi les Pères de la patrie, énergiques mais prudents, ne voulaient-ils pas provoquer inutilement les tenants de l'Ancien Régime alors qu'ils cherchaient à faire une place au Canton dans l'alliance confédérale; peut-être encore la figure du major n'avait-elle pas gagné, dans la mémoire populaire, la place de choix qu'elle prit ensuite.

Toujours est-il qu'il a fallu attendre 1839 pour que soit scellée une plaque commémorative à l'intérieur de la Cathédrale, 1841 pour que soit dressé l'obélisque de Cully et surtout 1841-42 pour que notre grand Juste Olivier consacre à Davel de belles pages dans son Canton de Vaud et un vrai travail d'historien dans l'une de ses Etudes d'histoire nationale; c'est alors que notre major est ressorti de l'ombre. Et depuis lors, ça n'a pas cessé. En parcourant deux siècles de vie artistique vaudoise, M. Scherrer met en lumière des faits bien oubliés. Sait-on que la première pièce de théâtre consacrée à Davel fut montée à Corcelles-près-Payerne, le 31 décembre 1845, par la Jeunesse du village sous l'impulsion du talentueux Félix Perrin? Et jouée avec un grand succès en plein air au cœur de l'hiver (quand les paysans ont du temps…)? D'autres écrits voient le jour ailleurs dans le Canton, dues par exemple à un pasteur ou au jurisconsulte Virgile Rossel, et même l'une traduite en allemand pour être jouée outre-Sarine.

Et voici, pour le bicentenaire du «plus beau jour de sa vie», en 1923, les grandioses célébrations de tout un peuple en l'honneur du précurseur de son indépendance. Culte célébré dans les paroisses selon une liturgie spéciale proposée par une Commission synodale. A la Cathédrale, office solennel avec discours et musique, présidé par le pasteur Aloÿs Fornerod senior, ministre à Pully, où l'on joua notamment une Marche héroïque… d'Aloÿs Fornerod junior. Lettre pastorale de l'évêque Mgr Marius Besson. Grand cortège de la Cité jusqu'à Vidy (on n'avait pas peur de marcher!) où notre martyr fait l'unanimité du peuple puisqu'à côté des groupements protestants, catholiques, israélites, théosophiques et libre-penseurs, les associations abstinentes y voisinaient avec les syndicats viticoles et la délégation des cafetiers (Journal de Rolle du 27 avril 1923). Fête populaire à Morrens, où Davel naquit. Rencontre du souvenir à Chausserossaz, la campagne des Davel sous Gourze, où Jean Daniel Abraham aimait à se retirer pour méditer. Grandes festivités à Cully, décorées par Albert Muret et Auberjonois et culminant par l'Hommage au major prononcé par l'auteur, Charles Ferdinand Ramuz. Il y a même des manifestations organisées par les Vaudois du dehors à Genève, à Berne, à Zurich. Et l'apothéose au mois de mai avec le Davel de Morax et Doret au Théâtre du Jorat.

Et puis il y a les arts visuels, le grand tableau de Gleyre criminellement incendié par un fou, la statue de Maurice Reymond sur la façade du Château où Davel fut incarcéré, la stèle de Vidy après celle de Cully, les fresques de Charles Clément à l'Hôtel de ville de Lausanne, son vitrail à la Cathédrale au-dessus de la plaque in memoriam.

Et les temps plus récents ne sont pas avares d'œuvres consacrées au major: L'affaire Davel, le livre de référence de Mme Marianne Mercier-Campiche (1970); L'hommage au Major 1970 avec les contributions de multiples auteurs, dont G.-A. Chevallaz, Gaston Cherpillod, Jacques Chessex; Le retour du Major Davel, grand succès de Michel Bühler en 1988, et l'on en passe; pour finir avec l'évocation anticipée – grâce à des extraits de discussions entre les créateurs – du futur opéra.

M. Scherrer nous conte tout cela avec une grande précision; il nous livre de longs extraits des relations et des critiques de l'époque; il place tout en juste perspective, notamment les œuvres d'autrefois dans le genre artistique du temps de leur création. Il a dû abattre un énorme travail pour trouver certains documents (comment a-t-il déniché le discours du président des Vaudois de Zurich en 1923?). Et on sent qu'il a aimé fouiller, narrer, juger, sourire parfois de quelques accents pompiers, admirer plus souvent les productions nées au fil des générations, rendant ainsi hommage à nos artistes et, à travers eux, à notre immortel major.

Référence:

   Antonin Scherrer, Davel – Des brumes de l'oubli aux feux de l'opéra – Deux siècles de création artistique pour transformer le traître en martyr puis en mythe, Favre éd., Lausanne 2020

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