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La technophilie du Conseil des Etats

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2269 27 décembre 2024

L’affaire de la récolte frauduleuse de signatures pour des référendums et initiatives a fait s’abattre une pluie d’interventions sur le Parlement fédéral. Dans La Nation du 20 septembre dernier, Olivier Delacrétaz espérait surtout que ce bougeottisme électoral ne finisse pas par restreindre l’accès à la démocratie directe.

Chacun y alla de sa sauce, de la proposition du Neuchâtelois Baptiste Hurni d’interdire la récolte rémunérée à une motion du Glaronnais Benjamin Mühlemann pour «l’introduction rapide d’un système de récolte électronique de signatures».

Le Conseil des Etats vient d’accepter la motion de M. Mühlemann à 20 voix contre 15. Le nouveau Chancelier de la Confédération Viktor Rossi, présent aux débats, a jugé la réforme prématurée. Le Conseil fédéral se contenterait d’un projet pilote impliquant diverses collectivités publiques, les cantons, la «société civile». C’eût été le début d’un «machin» fédéral. Pour nuancer l’immédiateté voulue par M. Mühlemann, le Chancelier a rappelé que le vote par correspondance fut testé vingt années durant et que deux systèmes coexistent encore. Ce que nous ignorions.

Simultanément, la Chambre haute a accepté une motion du Zougois Matthias Michel pour que de tels essais recourent à la future identité électronique fédérale, prévue pour 2026.

La démocratie directe et ses outils sont comme une pelote de laine: tirez dessus et une foule de nouveaux problèmes apparaîtront. Au premier chef figure la centralisation qu’induisent les progrès informatiques. Le système d’identification fédéral à venir sera immanquablement imposé aux cantons. Ceux-ci harmoniseront leurs portails de prestations (les «guichets informatiques»), puis, très naturellement, la forme de ces portails harmonisera les prestations elles-mêmes. La prudence demandée par M. Rossi est salutaire. L’empressement du Conseil des Etats est inquiétant. Il est inhabituel pour une Chambre dont on vante la sagesse comme en un mantra.

Cet empressement révèle aussi la technophilie propre à certains milieux PLR, d’autant que ses représentants sont issus de la dernière génération du baby-boom, pour parler comme les démographes. Leur principale erreur est de ne pas voir que derrière une solution technique se cachent toujours des enjeux politiques. Ils seront souvent lourds de conséquences, encore imprévisibles. Notre système actuel de récolte de signatures serait «archaïque»? Et alors! Une solution politique originale serait de l’assumer. Pas de céder à la première lumière clignotante d’un ordinateur s’allumant sur l’un de ces beaux bureaux patinés du Palais fédéral.

Les récoltes de signatures traditionnelles se déroulent en grande partie dans des milieux constitués: associations professionnelles ou environnementales, mouvements politiques, économiques ou sociaux. Elles dessinent une conception de l’engagement politique en communauté, ou à tout le moins en groupe. La récolte de signatures électroniques consacrerait l’individualisme fondamental de la société contemporaine. Son personnage archétypal n’est plus le citoyen alpagué dans la rue, allant de son bureau aux séances de rédaction de La Nation, où il décidera de l’encartage d’une feuille de signatures. C’est la personne absorbée par son écran, seule dans sa bulle, goinfrée de réseaux sociaux, et à laquelle l’école aura appris à coder, mais plus à écrire à la main. Ces questions sont à la fois anthropologiques et civilisationnelles. Le Conseil des Etats ne se les est manifestement pas posées. Puisse le projet sombrer au Conseil national.

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