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Une fusion à douze

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1815 20 juillet 2007
Le syndic de la commune des Tavernes a proposé d’examiner les avantages et les inconvénients d’une fusion entre les communes de Bussigny-sur- Oron, Châtillens, Chesalles-sur-Oron, Ecoteaux, Essertes, Les Thioleyres, Maracon- La Rogivue, Oron-la-Ville, Oronle- Châtel, Palézieux,Vuibroye… et Les Tavernes, bien entendu, toutes communes du district de Lavaux-Oron. La proposition a pris un relief particulier avec l’annonce de l’initiative socialiste qui veut imposer la fusion aux communes considérées comme trop petites.

Aucun principe politique ne s’oppose à la fusion de communes, pas plus, d’ailleurs, qu’au morcellement d’une commune. Ce sont des questions concrètes qu’il faut juger au cas par cas.

Quand une commune ne peut durablement plus subvenir à ses besoins financiers ou humains, ou qu’elle n’est plus apte à fournir les services que le citoyen est en droit d’attendre d’elle, il est juste qu’elle propose à une ou deux communes voisines, dans la même situation ou non, de fusionner pour rendre ces services à nouveau possibles. C’est de sa part un acte de responsabilité à l’égard de ses habitants. Que l’Etat l’y contraigne même, si elle se refuse obstinément à reconnaître son insuffisance, c’est dans l’ordre des choses.

Il reste qu’en soi, c’est une bonne chose que les communes soient nombreuses. Les charges diverses et bénévoles que leurs citoyens y assument sont pour eux autant d’occasions d’agir pour le bien de la collectivité, et par conséquent pour leur propre bien. Toute fusion diminue ces occasions.

Dans les petites et moyennes communes, les décisions sont prises par ceux-là mêmes auxquels elles seront appliquées. Cela contraint les municipalités et les conseils généraux ou communaux à être réalistes et à ne pas s’envoler dans les nuées de l’idéologie.

Enfin, le caractère milicien de la plupart des travaux accomplis a des conséquences bénéfiques immédiates sur les caisses communales, et par conséquent sur le porte-monnaie du contribuable.

A ce sujet, les «économies d’échelle» qu’on invoque toujours pour justifier une fusion doivent être exactement calculées. Avec les 5000 habitants que devrait compter la nouvelle commune, on va au-devant de la professionnalisation d’un certain nombre de postes, avec des salaires qui n’auront rien à voir avec les défraiements actuels.

Avec une fusion à douze, les petites communes sont automatiquement défavorisées. Même si leur intérêt est pris en compte, il ne le sera plus que comme une composante périphérique de la décision d’ensemble. Elles pourront certes dire leur mot sur ce qui les concerne, mais ce mot ne sera plus jamais déterminant. Pourtant, on n’a jamais entendu dire que les décisions des petites communes, prises en fonction de leur intérêt communal, aient d’une quelconque façon porté atteinte à leurs voisines, au district ou au Canton. Avec une fusion à douze, elles perdraient de l’autonomie sans que cela apporte le moindre avantage à leurs voisines.

L’argument qui dit que ces communes, membres de l’ancien district d’Oron, doivent s’unir pour être plus fortes et pour «faire front» contre l’Etat, ou contre l’ancien district de Lavaux n’est pas nouveau. C’est l’argument à tout faire. On nous l’a déjà servi pour la fusion Vaud-Genève, pour le découpage de la Suisse en sept régions, pour l’adhésion à l’Europe, etc. En l’occurrence, ceux qui l’utilisent font aussi référence au fait que, lors des dernières élections au Grand Conseil, la région d’Oron n’a obtenu qu’un seul député au lieu des trois dont elle avait l’habitude, les autres provenant tous de l’ancien district de Lavaux. Mais doit-on fusionner des communes simplement pour avoir deux «représentants» de plus au Grand Conseil?

De toute façon, l’argument du «front uni» est fallacieux. En l’invoquant, on se place d’emblée dans une perspective conflictuelle. Or, les communes ne sont pas organisées ni outillées pour se battre contre d’autres communes. En ce qui concerne la lutte contre l’Etat, une commune de 5000 habitants sera tout aussi impuissante qu’une commune de 500. Quant aux communes de l’ancien district de Lavaux, contre lesquelles elles seraient censées constituer un front électoral, les douze communes fusionnées compteraient encore neuf fois moins d’habitants que les autres. Mathématiquement, la confrontation ne peut que tourner à leur désavantage.

De plus, et surtout, c’est une illusion de croire qu’une entité politique est nécessairement plus forte parce qu’elle est plus étendue et plus nombreuse. Une collectivité est forte quand elle est unie et qu’elle est apte à exprimer une véritable volonté commune. La nouvelle entité oronnaise serait une masse informe, sans goût ni moût, sans unité, sans volonté commune.

Si la commune des Tavernes se sent dans une situation décidément impossible, elle a bien raison de chercher l’une ou l’autre commune dans la même situation et de lui proposer la fusion.

Mais en passant à une fusion de toutes les communes de l’endroit, indépendamment de leurs besoins ou de leurs envies, on a sauté à un tout autre registre. On se livre en réalité, et d’une façon assez désinvolte, à une espèce d’exercice de politique régionale qui relève typiquement de l’Etat, parce qu’il y faut une vue d’ensemble que les communes comme telles n’ont pas.

Il y a actuellement une mode des fusions. On joue au visionnaire, on part à l’aventure, on voit sa photo dans 24 heures, on est traité par le journaliste qui couvre l’événement de «syndic qui fait bouger les choses» ou de «municipalité audacieuse». Et puis, à mesure que les discussions avancent, on se rend compte que les coûts ne seront pas négligeables et surtout que les incertitudes sont considérables. On revient à la lourde réalité. Et bien souvent, l’aventure capote au dernier moment. C’est avant qu’il faut réfléchir, plutôt que de foncer bille en tête pour se retrouver à la fin tout penaud.

Les communes ne sont pas là pour se battre contre l’Etat, c’est le rôle des associations qui les représentent. Les communes n’ont pas pour but de concevoir une politique régionale. Les communes n’ont pas à modifier leur organisation fondamentale pour intervenir, sans la moindre certitude de succès, dans les élections au Grand Conseil.

Les communes offrent un certain nombre de services ainsi que la gestion d’un patrimoine en argent, bâtiments, champs et forêts. Et c’est de ce point de vue que chacune doit répondre à la question: la fusion m’est-elle vraiment indispensable du point de vue de l’exercice de mes fonctions spécifiquement communales? Si la réponse honnête et sereine est «non», qu’elle ne se laisse pas forcer la main!

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