Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

La grève et la communauté

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1747 10 décembre 2004
La paix du travail unit les patrons et les employés dans l’idée que leurs intérêts communs sont plus forts que leurs divergences. Mais l’individualisme libéral et l’étatisme collectiviste qui contestent la réalité communautaire de l’entreprise et de la profession organisée ne cessent, chacun à sa manière, de saper le partenariat social. Jusqu’à récemment, la prospérité générale dissimulait ce vilain travail. Aujourd’hui que l’argent se fait plus rare et plus difficile, nous nous apercevons de l’ampleur des dégâts. Sur ce point, les grèves de Reconvilier et de Crissier ont servi de révélateur.

24 heures, sous la plume de M. Claude Ansermoz, affirme que les employés de Swissmetal «font redécouvrir au peuple suisse les vertus et la nécessité de la grève» (1). Nous avouons préférer les vertus de la paix du travail, qui a assuré plusieurs décennies d’une prospérité inégalée à la Suisse.

La paix du travail est constituée d’une multitude d’arrangements et de compromis qui laissent peu de place à l’enthousiasme. Il y faut un sens aigu du possible et du relatif. Il y faut surtout une bonne dose de confiance réciproque. Ce n’est pas donné. La paix du travail n’est pas un acquis, mais le résultat fragile d’un effort constamment renouvelé. S’abandonner à la facilité d’une idéologie de l’histoire ou de la nature qui permet au plus ignorant de tout expliquer, c’est évidemment plus facile. De même qu’il est plus facile de préférer le romantisme du «tout ou rien» et de l’affrontement dans les rues à la mise au point laborieuse de subtils équilibres entre des forces divergentes.

Il est impossible qu’il n’y ait pas de grève, mais n’en faisons pas une victoire du droit et de la civilisation. Parler d’un droit de grève est un contresens. C’est parler du droit de ne pas respecter le droit. Il est impossible qu’il n’y ait pas de grève, mais il faut voir toute grève comme une régression des relations humaines à un stade élémentaire, comme un retour à l’état sauvage. Et ceci est vrai de quelque côté que soient les torts. Il faut être malade dans sa tête pour considérer comme un bien en soi le fait que le nombre des grèves augmente.

Ces grèves nous ont rappelé que le communisme est bien vivant. Ecoutons Aristide Pedrazza du syndicat SUD: «La grève de Swissmetal nous fait battre le cœur... Nous entrons dans une période de conflictualisation accrue entre les acteurs sociaux avec une augmentation des grèves et des moyens de lutte. Il s’agit d’une tendance lourde dont nous nous réjouissons.» (2) Celui-là n’a rien appris et rien oublié: ni le prophétisme du Manifeste, ni les dogmes du Capital, ni les tics de langage du prêt-à-penser marxiste.

Les marxistes ont su faire patte douce le temps que se soit estompé le souvenir des fantastiques échecs économiques, politiques et sociaux des régimes communistes. C’est aujourd’hui chose faite. La réhabilitation a été d’autant plus aisée que la «main invisible» du néo-libéralisme n’a pas fait preuve, c’est le moins qu’on puisse dire, de vertus sociales particulièrement efficaces. Il est vrai aussi que les démocrates sont mal à l’aise pour contester le communisme sur le fond. S’ils sont plus regardants sur le choix des moyens, ils émargent au même fond égalitaire et partagent la même croyance dans le Progrès en marche et dans la toute-puissance de la volonté humaine. Il suffit qu’un communiste critique le stalinisme et affirme renoncer à la violence révolutionnaire pour que l’opposition du démocrate s’effiloche et que les connivences idéologiques réapparaissent.

Prévisible, ce retour du communisme pur et dur n’en est pas moins inacceptable. Nous posons en principe que des employés, qu’une nécessité vraie ou supposée contraint à la grève, ne doivent pas être transformés en pions idéologiques par des allumés de l’agitprop qui se moquent pas mal de leurs intérêts concrets.

Dans son édito de Domaine Public intitulé d’une façon toute marxiste «Une leçon de praxis», M. André Gavillet (3) écrit: «Il n’est pas acceptable que les détenteurs de capitaux décident seuls du sort de l’entreprise et de ceux qui en vivent... La gestion à distance, anonyme, sans visage, n’est pas tolérable. Si l’entreprise est un risque, les capitaines doivent être à bord et les armateurs restés au port n’avoir que des droits limités.» Bene, recte, optime. Mais pourquoi placer ces remarques fondamentales sous l’autorité de Marx? Marx et les marxistes confondent eux aussi le capitaine et l’armateur. Ils identifient eux aussi le patron et l’investisseur sous le terme général de capitaliste. De plus, et contrairement aux capitalistes, ils confondent la préservation de l’ordre public et la planification autoritaire de l’activité des entreprises. Quel que soit le mal, le remède marxiste est pire.

Le travail a recommencé à Reconvilier. Il semble y avoir un début de dialogue entre les employés de Filtrona et son directeur. Les gouvernements cantonaux sont intervenus dans les deux cas pour rendre le dialogue possible. L’Etat est incontestablement à sa place dans ce rôle de conciliateur. Mais comment peut-on saisir l’office de conciliation tout en continuant de faire grève? Il y a là une inconséquence que l’Etat de Vaud ne devrait pas admettre.

On ne peut se contenter de constater l’usure du tissu social et d’entériner la chose en disant: «Les syndicats n’ont tout simplement plus le choix. Ils doivent désormais s’adapter aux discours de plus en plus durs de leurs partenaires sociaux» (4). C’est attribuer d’office la victoire à la pesanteur et au désordre. Si les conditions économiques et sociales d’aujourd’hui sont bien différentes de celles d’avant-guerre où des esprits visionnaires ont conclu la paix du travail, la nature communautaire de l’entreprise et de la profession subsiste. C’est elle qui doit continuer à indiquer les perspectives de réflexion et d’action du côté des employés, des patrons et de leurs syndicats.


NOTES

1) 24 heures du 24 novembre.
2) 24 heures du 25 novembre.
3) Domaine Public N° 1626 du 3 décembre.
4) Nicolas Verdan, 24 heures du 25 novembre.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*



 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Réabonnement critique – On nous écrit, Pierre Santschi
  • Faire la guerre: Antoine-Henri Jomini - par Jean-Jacques Langendorf – Alexandre Bonnard
  • Le Général Guisan et le peuple suisse - par Jean-Jacques Langendorf – Jean-Jacques Rapin
  • De Sottens au reste du monde – Aspects de la vie vaudoise, Pierre-Gabriel Bieri
  • Découpage – Ernest Jomini
  • Résistance passive – Jacques Perrin
  • Le jeu des chiffres et des lettres – Le Coin du Ronchon