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Proximité

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1748 24 décembre 2004

Quand un mot revient constamment sur toutes les lèvres, c’est que la chose qu’il désigne est en train de disparaître. Il en va ainsi du mot proximité. C’est un fait qu’on ne commence à parler de police, de banque ou de poste «de proximité» que lorsque la direction centrale ferme les bureaux locaux au profit d’un ou deux grands centres à partir desquels rayonneront des émissaires motorisés et bourrés de compétences. La «pastorale de proximité» est devenue à la mode au moment même où le chambardement d’«Eglise à venir» diminuait le nombre des pasteurs de paroisse tout en augmentant celui des «lieux d’Eglise». Il en va de même en économie. Dans notre édition précédente, nous citions Domaine public: «La gestion à distance, anonyme, sans visage, n’est pas tolérable.» Au fond, ce que DP demande, au moment même où la mondialisation rend les réseaux économiques plus opaques que jamais, c’est un patron de proximité.

Le discours - nostalgique et impuissant - sur la proximité est une tentative de contrebalancer la déshumanisation des ensembles urbains, le dépeuplement des campagnes, l’éloignement des centres de décision, l’anonymat de l’administration. Sa ritournelle magique évoque les cités non tentaculaires, les villages non globaux, les contacts personnels, la vie telle qu’elle se déroulait à une époque bénie où tout le monde se connaissait, pour le pire et parfois le meilleur. La proximité nous rassure et nous réchauffe. Elle nous encoconne. C’est bien agréable, et on a envie de rejoindre le chœur récurrent de ses adulateurs.

Mais en même temps, comment ne pas voir, dans cette obsession de la proximité, un résidu du small is beautiful des babas des années septante, une nouvelle expression de leur idéal piteux qui consistait principalement à passer leur vie sous la couette en mâchant des légumes crus?

Est-on d’ailleurs bien sûr que la proximité soit toujours la panacée? Il arrive qu’un certain anonymat des grandes villes protège la sphère personnelle mieux que la proximité intrusive des petites communautés. Les villes jouissant de l’immédiateté impériale profitaient d’une double liberté sous ce protecteur éloigné, à la fois dissuasif pour leurs ennemis et peu encombrant pour elles. La proximité imposée par la vie sociale et professionnelle peut aussi nous distraire de l’essentiel, nous contraignant à nous limiter aux problèmes du quotidien. Et c’est alors dans une retraite stricte et loin de tous que nous trouvons les moyens de nous réhumaniser.

Et ces terribles interlocuteurs qui vous parlent sous le nez, vous contraignent à reculer – bien inutilement, car ils vous suivent pied à pied – et vous plaquent contre la muraille pour vous assaillir de théories complexes sur le monde, agrémentées d’interjections pleines de miettes de croissants? Proximité, promiscuité plutôt, à laquelle on préférerait le plus inhumain des éloignements!

Sauf motifs intimes, notre psychisme refuse cette proximité physique. Nous sécrétons autour de nous un espace qui fait tampon avec la réalité. Cet espace nous appartient. On n’y pénètre pas sans notre accord. Son épaisseur est déterminée par notre instinct de conservation, mais aussi par les mœurs. Pour un Américain, par exemple, cet espace est deux fois plus grand que pour un Européen.

Il en va de la «proximité» comme de l’«ouverture», de la «mobilité» ou de la «transparence». Faire un absolu d’un mot, y voir une «valeur» en soi, c’est verser dans la liturgie idéologique et du même coup s’empêcher d’aborder convenablement les problèmes.

Car il ne s’agit pas d’imposer la proximité par principe, mais de déterminer la distance adéquate dans chaque cas. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas que le pasteur soit tout près de moi pour me tenir la main. J’ai besoin qu’il ait une vision d’ensemble de la paroisse, qu’il maîtrise ce qui s’y passe et soit tenu au courant de la chute inévitable des aérolithes ministériels régionaux ou cantonaux. La vraie question n’est pas de savoir si la pastorale doit être «de proximité» ou non, mais de savoir à quelles conditions il est possible d’exercer l’autorité pastorale sur un territoire donné. Il en va de même pour l’administration de la justice, la distribution du courrier et l’intervention de la police.

Précisons donc: proximité de qui? de quoi? dans quel but?

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Où est l'absurdité? – Philibert Muret
  • Ansermet de Langendorf – Jean-Blaise Rochat
  • Thomas Hirschhorn ou l’apologie du n’importe quoi - A propos de «Swiss-swiss democracy» – La page littéraire, Benoît Meister
  • Frank Martin – La page littéraire, Frédéric Monnier
  • La fin de l'autorité – Jacques Perrin
  • A travail égal, salaire égal - Quand le juge fixe le salaire – Jean-Michel Henny
  • Christoph B., un an après - L'an I de la Terreur – Le Coin du Ronchon