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L’UDC et nous

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1904 17 décembre 2010
Lorsque les idées de droite, comme celles de M. Schwarzenbach, deviennent une idéologie, c’est-à-dire lorsqu’elles sont conçues abstraitement, sans égard aux situations concrètes et sans respect pour le réel tel qu’il existe, elles ont de grandes chances de rejoindre l’affectivité la plus vulgaire et de prendre une forme démagogique qui, nous osons l’espérer, doit surprendre et affliger M. Schwarzenbach lui-même.

Marcel Regamey,
La Nation du 30 mai 1970


L’UDC est à la tête d’un mouvement puissant et durable de réaction populaire à l’internationalisme fusionnel des autorités fédérales et à l’immigration potentiellement illimitée que nous subissons. Elle refuse l’affaiblissement de l’armée et de la paysannerie, ainsi que l’abandon des «valeurs suisses», une expression à vrai dire assez floue et prêtant à malentendu.

Ce combat protectionniste et conservateur donne de nous une mauvaise «image» aux médias étrangers et aux bureaucrates de Bruxelles, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Les chefs si volontiers moralisants des Etats démocratiques proches ou lointains n’apprécient pas non plus, on les comprend. A ces hommes de pouvoir qui abusent de leur force dès qu’ils en ont l’occasion, les initiatives à l’emporte-pièce de l’UDC, leur incorrection politique assumée… et leur succès populaire montrent que les Suisses sont moins pressés que leurs autorités de se laisser passer sur le corps. L’UDC est un élève turbulent, parfois excessif et brutal, qui dérange le ronron paterne de l’officialité démocratique.

Nous entretenons des relations assez contrastées avec l’UDC. Comme elle, nous plaidons pour une Confédération souveraine, neutre et armée. Comme elle, nous refusons la perspective progressiste de l’unification inéluctable des nations. N’importe quel traité doit pouvoir être dénoncé s’il se révèle à l’usage trop et trop durablement contraire à nos intérêts. Comme elle, nous refusons tout traité évolutif. Nous avons combattu du même côté, parfois en étroite collaboration, contre l’EEE, contre l’adhésion à l’ONU, contre Armée XXI, contre les casques bleus, contre Schengen.

Pourtant, nous conservons nos distances. Nous avons refusé l’initiative des minarets et celle du renvoi des criminels étrangers. Nous nous préparons à combattre l’initiative pour l’élection du Conseil fédéral par le peuple. Certains de nos lecteurs se demandent s’il est bien intelligent de contrarier, de surcroît sans grand espoir d’être entendus, un mouvement vigoureux qui, en gros, défend ce que nous défendons et refuse ce que nous refusons. Ne pouvons-nous passer pardessus des divergences de détails? Mais voilà, est-ce que ce sont des détails?

Dans les années septante, nous encourions ces mêmes critiques en refusant les initiatives du parti républicain et de l’Action nationale contre la «surpopulation étrangère»1. «Comment, nous demandaient des amis proches, pouvez-vous plaider pour la défense armée du territoire et vous opposer à une initiative qui le protégera de l’invasion des travailleurs étrangers?» Même réaction à notre refus d’une police fédérale: comment pouvions- nous être pour l’ordre et contre la police? Comment pouvions-nous nous associer avec les socialistes et les gauchistes pour refuser un moyen de combat décisif dans la lutte contre le terrorisme qui, sévissant en Allemagne, en France et en Italie, n’allait pas tarder à déferler chez nous? M. Regamey s’en était expliqué à l’époque. Nous nous en expliquons à nouveau aujourd’hui, non sans mentionner que la police fédérale a été refusée et que le terrorisme n’a pas déferlé.

Nos divergences prennent toutes plus ou moins leur source dans le fait que l’UDC est un parti et nous pas. La Ligue vaudoise est un mouvement de personnes qui réfléchit et agit en toute indépendance électorale dans le souci constant du bien commun vaudois et, par extension, de l’intérêt de la Confédération. Nous ne prétendons pas être les seuls, et nous savons que notre souci est partagé par certains membres de l’UDC que nous connaissons.

Mais le fait est que l’UDC est un parti, et qu’un parti est un mouvement de masse. C’est par la masse que les candidats sont élus et qu’une initiative ou un référendum passent la rampe. Or, une masse comme telle n’est guère sensible au dialogue et à l’argumentation. Il s’agit surtout de la chauffer et de la mouvoir dans la bonne direction. Il y faut un langage émotionnel, des slogans très simples, des images qui provoquent. Il y faut aussi le discours d’urgence standard: «Si notre projet ne passe pas, et dans les délais les plus brefs, c’est l’apocalypse». L’UDC a poussé la méthode aussi loin que possible, au-delà même, de l’avis de certains.

On ne peut nier l’efficacité de sa communication en Suisse allemande. En terre vaudoise, terre de la litote, de l’ironie et de l’allusion, ses affiches et ses annonces sont ressenties comme un corps étranger. Il ne s’agit pas seulement de graphisme, car la forme n’est jamais complètement séparée du fond. On doit constater que cette communication réveille autant de sentiments glauques que de sentiments patriotiques. Il en reste des traces après les votations. C’est une responsabilité qu’on ne saurait prendre à la légère sous prétexte que la cause est bonne. Remarquons, pour être juste, que tous les partis le font plus ou moins, les socialistes autant que l’UDC, quand ils invoquent bien haut la solidarité tout en excitant sournoisement la haine pour les patrons et, plus encore, l’envie à l’égard des riches.

Le simplisme a ses avantages dans le monde brutal de la politique extérieure. Il n’en a plus, appliqué à la subtile mécanique des institutions helvétiques. Il nous est arrivé plus d’une fois de refuser pour des motifs de forme un projet dont nous approuvions le fond.

Mais notre problème principal est que si l’UDC est quelquefois fédéraliste dans le discours, elle ne l’est que rarement dans ses conceptions et dans son action. Un parti qui se veut le porte-voix de la Suisse traditionnelle devrait pourtant privilégier cette réalité constitutive de la Suisse la plus traditionnelle que sont les souverainetés cantonales.

Seulement voilà, l’idéologie suisse de l’UDC ne place pas les souverainetés cantonales au rang de ses priorités. Dans la course au pouvoir, il faut penser gesamtschweizerisch: la patrie suisse, la nation suisse, l’UDC suisse à la tête de l’Etat suisse. Les cantons ne sont que des subdivisions. De plus, les passions que l’UDC sait si bien animer et orienter sont trop explosives pour supporter la limite des frontières cantonales. Enfin, la nécessité de contrôler la bonne marche des sections cantonales impose une direction unifiée. Pour tous ces motifs, aucun grand parti, surtout dans sa phase conquérante, ne peut être fédéraliste2. Il est typique que l’UDC ait refusé de s’opposer à l’Espace éducatif suisse unifié, malgré les interventions vigoureuses de MM. Oskar Freysinger et Ulrich Schlüer. M. Maurer jugeait à l’époque que le thème était secondaire.

Et voici que l’UDC se présente aujourd’hui comme le sauveur de l’Ecole. En ce qui concerne «Ecole 2010», nous mènerons le bon combat aux côtés de la section vaudoise de l’UDC, qui a pris fait et cause pour l’initiative. Mais si le parti suisse entend centraliser l’école pour imposer ses bonnes idées à l’ensemble des cantons, et même si ces idées sont proches de celle d’«Ecole 2010», il n’aura pas d’adversaire plus déterminé que nous.

En résumé, nous sommes prêts pour de nouveaux combats aux côtés de l’UDC, mais nous voulons garder notre entière liberté de blâmer une propagande contraire à nos moeurs. Nous nous réservons de critiquer sans ménagement et de refuser des projets de textes constitutionnels approximatifs ou équivoques, lors même qu’ils partent d’une bonne intention.

Surtout, nous dénoncerons toujours avec alacrité toute initiative qui passera les cantons par dessous la jambe sous prétexte d’efficacité. D’abord, cette prétendue efficacité n’existe que dans la cervelle monolobe des technocrates. Le législateur expérimenté sait qu’il faut incorporer les moeurs et les usages dans les lois pour qu’elles soient efficaces. Ensuite, toute centralisation contribue non seulement à l’affaiblissement des cantons mais aussi à l’engorgement de l’administration fédérale. Vision d’avenir: des cantons étiques et une Confédération obèse. Enfin, se pose la question du long terme. L’UDC a aujourd’hui le vent en poupe. Mais qui peut dire de quoi demain sera fait? Or, si les lois passent, les compétences fédérales restent. Elles ne reviennent jamais aux cantons. Centraliser, c’est toujours, à terme, lâcher la proie pour l’ombre.

C’est notre devoir de le dire et de le répéter. Personne ne le fera à notre place. Et si nous ne le faisons pas, à quoi servons-nous?

 

NOTES:

1 Le terme allemand était Überfremdung, qui avait une portée émotionnelle qu’ignore la traduction française. On devrait traduire par quelque chose comme «surétrangérisation».

2 Le PDC le fut en son temps, mais c’est qu’à travers le fédéralisme, il visait à conserver ce qui nous restait de chrétienté.

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