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L’armée Suisse est là pour se battre

Ernest Jomini
La Nation n° 1904 17 décembre 2010
Fort bien! Mais contre qui? A première vue, on ne voit pas actuellement qui tenterait de nous envahir. Aussi notre armée donne-t-elle l’impression d’être inutile. C’est pourquoi on lui cherche des raisons d’exister: intervention en cas de catastrophe naturelle, service d’ordre lors de compétitions sportives à haut risque, protection de grandes conférences internationales (Forum de Davos, Sommet de la Francophonie à Montreux). Tout cela est utile, certes, mais ce seront toujours pour l’armée des activités secondaires.

Au cours d’un de nos derniers «Entretiens du mercredi», consacré aux questions militaires, deux de nos amis relevèrent à juste titre deux conséquences heureuses de l’existence de l’armée: 1) Le service militaire est pour les jeunes Suisses l’occasion de mieux connaître le pays et demeure une source de la cohésion fédérale. 2) L’armée est l’occasion d’une mélange social bénéfique, le futur patron, l’ouvrier, le paysan, le fonctionnaire vivant ensemble la vie militaire.

Nous estimons cependant qu’il est dangereux de trop insister sur ces conséquences positives, au risque d’en faire la raison d’être actuelle de l’existence de l’armée. Si la vie militaire est si bénéfique, comment accepter que tant de jeunes gens en soient privés? Puisqu’une proportion importante d’entre eux échappe au service militaire, pourquoi ne pas généraliser un service civil obligatoire? Et au nom de l’égalité, il serait trop injuste que les jeunes filles soient privées de cette école exemplaire de cohésion dite «nationale» et de la saine camaraderie qui naît sur les paillasses des cantonnements.

Nos lecteurs savent notre opposition résolue à toute mobilisation de la jeunesse pour autre chose que la défense éventuelle du territoire de la Confédération. Or, nous craignons que, à défaut de trouver une justification militaire à l’existence de l’armée, certains de nos responsables politiques ou militaires ne se laissent séduire par cet aspect sociologique de l’armée et s’en contentent. Ne serait-ce pas l’explication de la triste situation où se trouvent un certain nombre d’unités de notre armée qui ne disposeraient pas, en cas de mobilisation, du matériel nécessaire au combat?

Répétons donc notre affirmation: l’armée suisse est faite avant tout pour se battre. On imagine sans peine les ricanements, non seulement des pacifistes déclarés, mais aussi de notre intelligentsia: encore la nostalgie de l’armée de grand-papa! Il n’y a pas d’ennemi en vue dans une Europe définitivement unie et pacifiée. D’ailleurs, quelle résistance militaire la Suisse pourrait-elle opposer à l’époque des avions supersoniques et des missiles? Notre capacité de défense sera toujours dérisoire.

A ces objections nous opposons d’abord le fait que les guerres récente (ex-Yougoslavie) ou actuelles (Irak, Afghanistan) sont des conflits locaux. Malgré son immense supériorité en matériel technique, l’armée américaine et ses alliés ne sont pas près d’en voir le bout. On a beau posséder les armements les plus sophistiqués; dans une guerre, il faut toujours finir par occuper un territoire.

En outre, il est toujours difficile de concevoir un conflit possible alors que la paix semble régner et qu’aucun voisin ne nous menace militairement. Ce fut le cas entre 1918 et 1933. On imaginait la guerre hors-la-loi et la résolution définitive des conflits réalisée par la Sociétés des Nations. Le réveil fut rude et le retard pris par notre armée pendant ces quinze ans ne fut que péniblement et partiellement rattrapé.

Autre leçon d’histoire plus ancienne: la Suisse dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Nous sommes en «paix perpétuelle» avec la France, la grande puissance européenne. Personne ne menace nos frontières et beaucoup de cantons négligent gravement leur défense militaire. Brusque changement de décor: en 1798, les troupes de la Révolution française envahissent l’ancienne Confédération et la Suisse sera le théâtre de la guerre entre Autrichiens, Russes et Français, avant que la Confédération ne devienne en 1803 un Etat satellite de la France.

Comme le rappelait M. Jacques Perrin dans La Nation («L’armée nécessaire et impossible», 19 novembre dernier), l’illusion d’une paix perpétuelle est largement répandue en Suisse depuis la chute du mur de Berlin en 1989. L’opinion publique a toujours de la peine, en temps de paix, à accepter les sacrifices qu’entraîne l’instruction d’une armée destinée à se battre. C’est normal.

Mais c’est le rôle des responsables politiques et militaires d’être suffisamment instruits par les expériences de l’histoire et de la politique pour savoir que tout pays doit être capable d’assurer la défense de son territoire. Sinon il risque soit de devenir un Etat satellite, soit de disparaître. L’opinion publique et les médias qui prétendent la former ont toujours de la peine à accepter cette leçon de politique. Mais on est en droit d’attendre de nos dirigeants, et surtout du Conseil fédéral dans son ensemble, qu’ils n’abandonnent pas cette tâche essentielle de l’Etat.

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