Faut-il promouvoir la «culture alternative»?
Il y a quelques temps, le président du parti radical libéral lausannois déposait une résolution demandant que l'espace autogéré de César-Roux se conforme désormais à la loi et cesse d'organiser des manifestations non-autorisées. Le Conseil communal refusa de le suivre, sous prétexte de «promouvoir la culture alternative».
En promouvant des gens qui, consciemment et par méthode, ne respectent pas ses propres règlements, la commune de Lausanne bafoue sa propre autorité. Elle se place dans une contradiction d'autant plus insoluble que c'est même précisément à cause de leur comportement illégal qu'elle s'obstine à les soutenir.
La contradiction n'est pas moindre chez ces «rebelles» qui acceptent, voire revendiquent un soutien. Une vraie rébellion exigerait une indépendance complète à l'égard de tout pouvoir tiers, particulièrement celui de l'argent, et plus particulièrement l'argent de celui contre qui l'on prétend se rebeller. Quelle serait la crédibilité de La Nation, aux yeux mêmes de ses lecteurs, si ce journal, qui critique régulièrement le régime, ses pompes et ses œuvres, était mis au bénéfice d'un soutien étatique?
Subventionnée par ceux-là même qu'elle conteste, la contestation se dégrade inévitablement en spectacle de la contestation. L'«alterno», piégé, n'est plus qu'un vague et minable cabotin qui mime l'impossible mise en cause du système. Il s'habitue à exiger tout ensemble l'aura du rebelle et les pantoufles du rentier.
De leur côté, en le stipendiant, les autorités le nient comme opposant. Elles l'incluent de force dans le système qu'il conteste et ne lui laissent aucune marge d'action vraiment libre. Comment ne pas voir ce qu'il y a de totalitaire dans cette impossibilité organisée d'échapper au système?
Les vrais anarchistes, ceux qui refusent le principe même de l'Etat, ne s'y trompent pas. Lors de la rencontre du G8, de sinistre mémoire, la ville de Lausanne avait mis à leur disposition un joli petit village avec tentes, toilettes et tout. Ils ont tout souillé, tout fracassé et s'en sont allés dans un endroit vraiment interdit… tout en sachant qu'on ne les en délogerait pas et qu'ils pourraient donner la pleine mesure de leur nocivité. Ces malheureux sont ainsi condamnés à transgresser de plus en plus pour échapper à la récupération bourgeoise. Les politiques leur courent après pour les assurer de leur soutien indéfectible, et eux courent devant pour continuer d'être considérés comme de vrais révolutionnaires.
Paradoxalement, au fond, le rebelle sincère devrait revendiquer le droit d'être arrêté, menotté, tabassé et condamné pour ses actes, c'est-à-dire le droit de témoigner authentiquement de son idéologie. Mais il ne le revendiquera pas. D'ailleurs on ne le lui accorderait pas.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 13 janvier 2015)