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Actualités  |  Mardi 9 septembre 2014

Menteur, menteur toi-même!

Dans un récent courrier des lecteurs, un étudiant traitait globalement les opposants à la caisse maladie publique de «menteurs». Ces opposants affirment notamment qu'une caisse publique se transformerait inévitablement en une entité de type administratif dont le personnel, les coûts et le pouvoir ne cesseraient de croître. De plus, cette caisse imposerait à l'assuré les lourdeurs, l'opacité et cette sorte d'arbitraire aveugle propres aux institutions monopolistiques. Le jeune étudiant aurait pu contester ces appréciations, il ne l'a pas fait, se contentant de contester l'honnêteté de leurs auteurs.

Le procédé est devenu courant. Il y a quelques années, un conseiller d'Etat publiait deux pleines pages dans la presse vaudoise pour «rectifier» les «mensonges» des adversaires d'un de ses projets… et s'offrir au passage deux grandes annonces publicitaires aux frais du contribuable.

Alphonse Morel, l'un des fondateurs du journal La Nation, professait qu'il fallait par principe considérer son adversaire comme un homme de bonne foi. Ce rude bretteur ne se faisait aucune illusion sur la nature humaine, mais il croyait profondément que le choc des idées inspire la réflexion et rapproche de la vérité. Or, pour dialoguer, il faut un minimum de confiance réciproque, et pour inspirer de la confiance, le plus expédient est de commencer par en accorder.

D'ailleurs, quelqu'un peut-il avoir totalement tort? Même si la loi proposée est mauvaise, le but visé est peut-être louable. S'il ne l'est pas, il répond probablement à un souci légitime, ou à une critique justifiée de la situation actuelle. Vouloir a priori que l'adversaire soit de mauvaise foi, c'est s'empêcher de reconnaître la part de son discours qui est légitime et, du même coup, de nuancer, de compléter voire d'infléchir sa propre position en conséquence.

Il ne s'agit pas de se lier les mains face à un mensonge avéré. Quand un partisan de la caisse publique affirme par exemple que certaines caisses refusent d'assurer les «mauvais risques», et plutôt que l'accuser de mensonge, il vaut mieux rectifier en lui donnant raison pour les assurances complémentaires et tort pour l'assurance de base: de l'obligation pour chaque citoyen de s'assurer découle en effet l'obligation pour chaque caisse de l'assurer. Inutile de s'en prendre à la personne pour rectifier un fait.

En dévalorisant les opposants, notre étudiant ne voit pas que c'est du même coup sa propre position qu'il dévalorise. Car une accusation aussi générale rend toute confiance impossible et fait basculer l'entier du débat, avec ses acteurs, au niveau inférieur de la bagarre de rue. De part et d'autre, on met les arguments politique au rancart, on se coupe la parole dans les débats publics, on se traite de tous les noms. L'électeur n'y comprend rien et soupçonne tout, il vote pour des motifs périphériques ou démagogiques, et tout le monde y perd.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 9 septembre 2014)