Quelques risques découlant de l'état d'urgence
Depuis les derniers attentats djihadistes, le gouvernement français recourt aux grands moyens pour réprimer le terrorisme: accroissement de la présence policière dans les rues des grandes villes, dans les gares et les grands magasins, interventions musclées dans les appartements suspects, écoutes téléphoniques, contrôles d'identité, assignations à résidence, surveillance des frontières, fermetures de sites internet douteux, appels à la délation, déchéance de la nationalité. Rien n'est trop rigoureux, rien n'est trop coûteux. Exit le «pacte de stabilité», avec ses mesures d'économie considérées il y a peu comme indispensables et urgentes.
Le parlement soutient le gouvernement. En ce qui concerne la déchéance de la nationalité, on saura demain s'il s'y rallie aussi. La population se soumet pour le moment de bon cœur à l'état d'urgence et aux désagréments individuels qu'il provoque.
La plupart de ces mesures d'ordre public sont probablement nécessaires. Elles manifestent en tout cas un sursaut vital de la France qu'on peut saluer. Mais il ne faut pas trop en espérer, et pas davantage trop s'y fier.
Prévenir les actions terroristes reste extrêmement difficile, vu leur caractère individuel et aléatoire, vu la facilité de bricoler des engins explosifs. Et le fait que le terroriste ne craigne pas la mort le rend à peu près imprévisible.
De plus, les débordements sont inévitables. On pense tout de suite aux «bavures» de la police, mais ce n'est pas le principal, car les policiers sont entraînés à se maîtriser dans les situations extrêmes qui sont leur lot quotidien. On doit craindre bien davantage les bâclages judiciaires et les abus de pouvoir administratifs. Ajoutons que le fait de se savoir surveillé, même par des fonctionnaires honnêtes voire bienveillants, doit être à la longue assez lourd à supporter.
La volonté politique est inopérante si le gouvernement ne dispose pas des moyens nécessaires. Or, avant même les attentats, les effectifs des forces de l'ordre étaient insuffisants et les policiers chroniquement débordés et surmenés. Les tribunaux étaient engorgés. Jusqu'à quand la police et la justice pourront-elles supporter le poids de l'engagement supplémentaire qu'on leur demande aujourd'hui? Et que se passera-t-il quand elles ne le pourront plus?
Enfin, on sait d'expérience que la bureaucratie prend vite goût aux pleins pouvoirs. On peut lui faire confiance pour trouver toujours quelque excellente raison de les prolonger. En Suisse, après la deuxième guerre mondiale, il n'a pas fallu moins d'une double initiative populaire pour contraindre les autorités fédérales à les supprimer et à réintroduire la démocratie directe. Le peuple français ne dispose pas de ce contre-pouvoir institutionnel.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 9 février 2016)