Le travail n'est pas une masse lisse et homogène
Le 15 septembre dernier, France-Info reçoit M. Philippe Martinez, le chef de la CGT, syndicat d'inspiration communiste. M. Martinez dénonce l'inaction du gouvernement français face au chômage. Car, pour ce syndicaliste de combat, la solution est évidente: il suffit de répartir le travail existant en passant de trente-cinq heures hebdomadaires à trente-deux.
Le passage de trente-neuf heures à trente-cinq, imposé il y a quatorze ans à l'ensemble des entreprises françaises, n'a pas vraiment prouvé l'efficacité de ce genre de mesure. Depuis 2002, la courbe du chômage n'a pas été inversée, elle n'a même fait que grimper, certains disent «exploser», avec, il est vrai, un creux en 2008. Mais que pèse l'expérience, si incontestables que soient ses résultats, face à la routine idéologique d'un bagarreur qui ne pense qu'en termes de lutte des classes?
A supposer qu'on suive M. Martinez, faudra-t-il conserver les mêmes salaires mensuels, ce qui contraindrait les entreprises à augmenter leurs prix de plus de 8% pour s'assurer des rentrées à peu près équivalentes? Ou voudra-t-on, pour résister à la concurrence, garder les mêmes prix de vente et courir les risques sociaux d'une baisse générale des salaires? Fera-t-on «payer les riches» et porter le poids de la baisse aux seuls patrons d'entreprise, avec tous les dangers de faillites ou de délocalisations qu'on peut imaginer? Mystère!
Mais surtout, l'idée d'une répartition générale du travail laisse entendre qu'on peut passer d'un travail à un autre sans difficulté. Or, les métiers et professions ont des formes diverses et demandent des qualités, une formation et une expérience diverses elles aussi. Le chef d'atelier, le comptable et l'informaticien ne sont guère interchangeables. Et ils le seront toujours moins, chaque activité tendant aujourd'hui à la spécialisation.
Le partage durable du travail apparaît certes possible dans de grandes entreprises, industrielles, agricoles ou de service, qui offrent toujours un certain nombre d'emplois basiques. Mais ce type d'emploi est en train de disparaître, étant exécuté aussi bien, plus vite et à moindre coût par des machines. Cela réduit d'autant la portée de la proposition de M. Martinez.
Pour un communiste, la division du travail est un processus de déshumanisation qui fait du travailleur un simple rouage de la machine et l'empêche radicalement de considérer son travail sous l'angle de sa finalité. On peut être d'accord. Mais M. Martinez n'encourt-il pas un reproche assez semblable, quand il fait comme si le travail existait en soi, indépendamment de la vie et de la mort des entreprises, masse lisse, homogène, sans grumeaux, indéfiniment sécable et dont chaque portion pourrait être confiée à n'importe qui?
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 1er novembre 2016)