En finir avec l'idéologie de grand-papa
Depuis que je m'intéresse à l'Ecole, c'est-à-dire, en gros, depuis que je l'ai quittée, j'entends des politiciens proclamer leur volonté d'en finir avec «l'Ecole de grand-papa». Etant moi-même grand-père, je pourrais supposer qu'ils parlent de l'Ecole telle qu'elle existait dans ma si lointaine enfance.
A cette époque, la primaire et la secondaire n'étaient pas successives, mais parallèles. La voie primaire conduisait aux apprentissages. C'était la plus nombreuse. A douze ou treize ans, les plus doués et les plus zélés pouvaient entrer, après examen, dans la filière ardue de la primaire supérieure. La secondaire, c'est-à-dire le collège, commençait à dix ans. Après la réforme de 1956, le collégien commençait par deux ans de «tronc commun». Ensuite, il choisissait l'une des quatre sections, classique (latin), math-sciences, moderne (langues) ou générale. Une année plus tard, les classiques optaient pour le grec ou l'anglais. Certificat à seize ans. Gymnase en deux ans et quart. Baccalauréat à dix-huit ans. Le bac classique ouvrait la porte à tout, de l'Université à l'Ecole de fromagerie de Moudon, laquelle n'avait pas encore été bradée par le Gouvernement.
Cette Ecole de grand-papa vécut des réformes en rafales permanentes, notamment la réforme Cevey en 1984, «Ecole vaudoise en mutation» (EVM), en 1995, et la LEO, entrée en vigueur en 2013. Chacune était censée éliminer définitivement l'«Ecole de grand-papa». Mais, à peine était-elle mise en œuvre que les réformateurs dénonçaient son caractère grand-paternel dans le but de préparer la suivante. La réforme se nourrit de ses propres erreurs.
En réalité, l'Ecole d'aujourd'hui n'a plus rien à faire avec celle que j'ai suivie. Celui ou celle qui utilise encore la formule «Ecole de grand-papa» révèle son ignorance de la réalité scolaire et son absence volontaire d'esprit critique à l'égard des vieilles rengaines idéologiques du Département.
Car la seule chose qui n'a pas évolué, dans l'Ecole vaudoise, c'est l'idéologie des ancêtres de la réforme, Langevin, Bourdieu, Meirieu: unification des structures scolaires et de la formation des maîtres, changement continuel de terminologie, obsession de la méthode, rejet des humanités, survalorisation des formations universitaires, le tout enrobé dans un glaçage de considérations égalitaires et libertaires. Considérations trompeuses, d'ailleurs, car toutes les réformes que cette idéologie a inspirées n'ont fait que renforcer les inégalités, les espoirs déçus et les rancœurs, rallonger les études et renforcer le pouvoir et les contrôles de l'appareil central sur les enseignants.
On souhaite que cet échec persistant incite le prochain chef du Département de la Formation et de la Jeunesse à mettre enfin au rebut la néfaste «idéologie de grand-papa».
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 16 mai 2017)