Revendiquer sa souveraineté n'est pas un acte d'hostilité
L'initiative «Le droit suisse au lieu de juges étrangers» consacre la primauté de notre droit constitutionnel sur le droit international. Elle proclame la souveraineté de la Suisse face aux autres Etats et aux organisations supranationales.
La souveraineté n'est pas une prétention à l'autarcie, ni l'isolement du pays, ni la fermeture de ses frontières. Etre souverain ne signifie pas qu'on est opposé par principe à conclure le moindre traité. Au contraire, même, signer un traité est un acte de souveraineté. Seul un Etat souverain est fondé à le faire, comme il est seul fondé à défendre son territoire contre l'envahisseur.
D'ailleurs, un traité, même s'il impose de lourdes exigences aux signataires, ne lèse pas forcément leur souveraineté, pas plus que la signature d'un contrat de bail ne diminue la liberté des contractants. Le fait que nous puissions dénoncer – souverainement! – un traité montre bien que celui-ci n'a pas lésé notre souveraineté dans son fond. Elle a simplement été mise entre parenthèses le temps que durerait la validité dudit traité. En revanche, c'est une perte de souveraineté effective que de signer un traité dépourvu de clause de dénonciation, en tout cas pour un petit Etat. Le grand, lui, fait comme il veut.
L'initiative affirme que, comme n'importe quel Etat, la Confédération doit avoir le dernier mot pour tout ce qui la concerne. Elle a même été conçue à cette fin. C'est pour le rappeler que le titre de l'initiative fait allusion aux «juges étrangers» du pacte de 1291.
Sur le fond, donc, on pourrait dire que cette initiative est inutile, tant la notion de souveraineté est à la base de l'édifice constitutionnel. On pourrait même dire qu'elle est dangereuse, soumettant une caractéristique inaliénable de l'Etat aux aléas d'un scrutin populaire.
Si elle a abouti malgré tout, c'est qu'il règne une forte méfiance à l'égard des autorités fédérales et de leur capacité de résister à cette idée que le droit international est a priori supérieur à l'ordre juridique suisse. Leur approche minimaliste de l'initiative sur l'immigration massive a montré que le souverain (!) avait à leurs yeux moins de réalité que les visions économiques et idéologiques de l'Union européenne. Et l'acceptation, par un parlement fédéral qui ne l'avait pas lue, de la Lex americana sur les banques, comme aussi notre soumission à l'«accord» FATCA, extension au monde du fisc étatsunien, ont mis en lumière l'atonie de la Berne fédérale en matière de souveraineté.
Le texte précis de l'initiative et ses retombées vraisemblables doivent encore être examinés dans tous leurs détails. Pour l'heure, évitons simplement de penser que revendiquer la souveraineté suisse serait de soi un acte d'hostilité envers les Etats voisins, l'Union européenne et le monde entier.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 12 juin 2018)