L’autonomie abusive des villes de gauche
Il arrive que la gauche suisse affiche ses revendications «au nom des villes et des cantons». L’extrême gauche vaudoise a encore récemment recouru à un tel discours pour demander à Berne un regroupement familial facilité en faveur des réfugiés afghans. De même, le Conseil communal de Lausanne s’autorise régulièrement à prendre des orientations pour lesquelles il n’a pourtant pas la compétence: l’interdiction des véhicules à moteur thermiques pour 2030, ou la généralisation des zones à 30 km/h.
Il arrive également que la Confédération mette sur pied des projets pilotes en matière de politique de la drogue directement dans certaines villes suisses.
Au nom de l’autonomie communale, on pourrait être tenté d’approuver de telles initiatives, qu’elles émanent de Lausanne ou de la Confédération. Mais prenons garde! Ces démarches court-circuitent le niveau cantonal, à la fois pivot et centre du système. Elles laissent entendre que les «villes suisses» représentent une réalité politique parallèle à celle des cantons, et tout aussi légitime.
En Pays de Vaud, la liberté des communes et des villes a toujours dépendu du pouvoir cantonal. Le canton n’a jamais été une fédération de villes libres. Que la Confédération favorise certaines villes est une atteinte à l’équilibre confédéral. Que certaines communes vaudoises en appellent directement à Berne est une marque de déloyauté à l’égard des autres communes, et de l’État de Vaud.
Cette tendance à l’autonomie des zones urbaines trouve un fort écho chez nos voisins. Depuis quelques décennies a lieu une autonomisation des métropoles européennes par rapport à leur cadre national. Ainsi en va-t-il à Londres, Barcelone ou Paris. Cette plus grande autonomie s’accompagne d’une concentration des investissements en ville. Il en découle un appauvrissement des zones de banlieues, et une désertification des campagnes. Le géographe Christophe Guilluy avait inféré de ce constat la notion de «France périphérique». Elle fut au cœur de la crise des «gilets jaunes» de 2018.
Les villes votent à gauche
À ces innovations s’ajoute une dimension idéologique. Tout comme les grandes villes européennes, Lausanne, Berne, Bâle ou Zurich votent à gauche, voire à l’extrême gauche lorsqu’on analyse les positions des Verts. Leurs revendications vont toutes dans le même sens: dépénalisation de la drogue, accueil facilité des réfugiés, interdiction des voitures au nom de l’urgence climatique.
Les tenants de ces revendications ne voient dans la liberté politique des communautés qu’un moyen d’imposer leurs vues au plus grand monde. Ils ne sont ni fédéralistes ni souverainistes. La question du niveau de décision ne leur importe pas. Ils applaudiraient si l’Union européenne imposait les zones à 30 km/h. Nous combattrons la création d’un «Pays de Vaud périphérique».
(Félicien Monnier, 24 heures, 9 novembre 2021)