La nature ne doit pas être victime de nos hésitations
Avec 63'184 signatures déposées, le référendum contre le «Mantelerlass» des lois sur l’énergie et sur l’approvisionnement en électricité devrait aboutir. Ce texte aussi dense que jargonneux veut accélérer la construction d’installations de production d’énergie verte. Il s’agira de parcs éoliens, de champs de panneaux solaires, de nouveaux barrages. Leurs colossaux chantiers porteront immanquablement atteinte à la nature, au paysage, à la biodiversité ou au patrimoine.
Il appartiendra aux Cantons de désigner les emplacements des installations dans leurs plans directeurs. Mais Berne pourra les déclarer «d’importance nationale». Les critères de cette désignation sont inconnus à l’heure actuelle. Elle aura pour effet de faire primer l’intérêt à la production d’énergie verte sur tout autre intérêt. Le législateur se substitue au juge dans l’arbitrage des intérêts. Ce projet ne réalise pas tant une atteinte à la séparation des pouvoirs, qu’une atteinte insidieuse au fédéralisme.
Non seulement les législatifs cantonaux, mais surtout les tribunaux cantonaux se trouveront dépossédés. Bien qu’ils resteront chargés de trancher les recours contre les projets, ils seront contraints d’arbitrer les intérêts selon une hiérarchie fixée par Berne. La pesée des intérêts, activité centrale de la juridiction administrative, sera vidée de son sens. La loi leur refuse du même coup d’être arbitres des intérêts locaux. Le paysage n’est pourtant pas le même au bord du Rhin ou du Talent, dans le val d’Hérens ou de Ruz. «L’harmonie générale du site», formule chère au Tribunal cantonal, est indissociable des perceptions de ses habitants.
Après avoir vu leur cinquième recours rejeté, les associations de protection de la nature et du paysage, mais aussi et surtout les habitants des lieux, déclareront forfait. Berne aura obtenu l’accélération des procédures qu’elle souhaite tant. Imposés par le haut, les projets ne seront jamais acceptés dans la durée par les populations locales.
Le calendrier dans lequel la loi s’inscrit est boiteux. Le Mantelerlass n’envisage pas le recours à l’énergie nucléaire. Pourtant, la décision du Conseil fédéral de 2011 d’en sortir, validée par le peuple en 2017, était commandée par la crainte d’un Fukushima suisse. Elle n’obéissait pas au souci de réduire notre dépendance au carbone, qui n’a réellement saisi l’opinion qu’en 2019.
Depuis quelques mois, le Conseil fédéral envisagerait de revenir sur sa stratégie. Prôner à tout le moins une prolongation de nos centrales ne relève plus de l’hérésie. Sans compter l’aboutissement de l’initiative «Stop au blackout», qui nous fera revoter sur le recours à l’atome.
La volonté d’augmenter notre autonomie en énergie verte côtoie un retour en grâce du nucléaire. Ces dynamiques méritent d’être coordonnées. Que la protection de la nature et du paysage ne soit pas la victime irréversible de ces incohérences.
(Félicien Monnier, 24 heures, 30 janvier 2024)