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Actualités  |  Mardi 19 décembre 2023

Méfions-nous de notre technophilie

La récente publication de l’ouvrage de M. Jean-Christophe Schwaab sur la souveraineté numérique nous offre de mener quelques réflexions sur la manière que nous devons avoir d’aborder la révolution numérique et les enthousiasmes qu’elle suscite.

Les souverainetés militaire, alimentaire, numérique ou énergétique se rassemblent en un bouquet pour former la souveraineté d’un État: sa capacité de décider librement – en toute indépendance – qui a le pouvoir de prendre les décisions applicables à une communauté occupant un territoire délimité. Affaiblir l’une de ces souverainetés, c’est affaiblir l’ensemble. Une agriculture insuffisamment productrice amoindrit notre défense nationale. Dépendre de l’Union européenne ou des États-Unis pour l’électricité ou le gaz diminue dans tous les domaines la position de nos ambassadeurs à Bruxelles et Washington. Largement dématérialisés et en partie détenus par des entreprises étrangères, les outils numériques sont pour leurs utilisateurs riches de pertes d’indépendance.

Notre rapport à la technologie n’est pas totalement rationnel. On discerne ainsi chez nos politiques, en particulier libéraux, une tendance à la technophilie béate. Une solution intégrant le plus d’intelligence artificielle ou de «machine learning» sera souvent supposée être la plus adaptée à régler un problème donné.

Cette technophilie cache mal une façon de céder à la nouveauté, au détriment de principes philosophiques et juridiques éprouvés. On tendra alors naïvement à voir dans le recours à la technologie une absolue nouveauté, exigeant des solutions absolument nouvelles, et donc supposées absolument bonnes. Beaucoup en profiteront pour dénigrer les lois actuelles, dénoncer leur prétendue obsolescence et en appeler sentencieusement à l’innovation et au courage qu’elle exigerait. Ces propositions passeront, presque immanquablement, par l’étatisme et la centralisation des compétences.

Cette manière de voir paralyse les responsables politiques, notamment à l’heure d’encadrer les plateformes numériques prétendument disruptives comme Uber ou Airbnb. Il fallut attendre un retentissant arrêt du Tribunal fédéral en 2022 pour enfin faire entendre à Uber que leurs chauffeurs étaient bel et bien au bénéfice d’un contrat de travail, avec tous les devoirs de protection que cela imposait à la firme californienne. Le TF renvoyait du même coup à leur copie les petits valets de la mondialisation jusque-là si fiers d’annoncer la révolution que ces nouveaux acteurs imposeraient à l’économie suisse.

Si la souveraineté est le pouvoir de «décider qui décide» – par hypothèse de recourir à une solution numérique –, elle implique également le pouvoir de «décider de ne pas décider» et de renoncer à la dernière nouveauté. La révolution numérique nous impose d’abord d’apprendre à nous méfier de nous-même. Le choix d’une solution numérique n’est pas toujours inéluctable.

(Félicien Monnier, 24 heures, 19 décembre 2023)