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Actualités  |  Mardi 9 mai 2023

300 ans plus tard, la leçon du major Davel

Un matin du printemps 1723, le major Davel marche sur Lausanne à la tête du bataillon de Lavaux. Il sera dénoncé, torturé, décapité. L’affaire aurait pu s’arrêter là. Et pourtant, 300 ans plus tard, un Canton aux frontières presque inchangées depuis 1723 commémore la geste davélienne et célèbre le héros de son indépendance.

La dialectique libérale-radicale voit dans son aventure l’une des étapes de la marche du Canton vers la démocratie. Il y a deux semaines à Cully, la présidente du Conseil d’État a répété cette vision. De son côté, l’extrême gauche, dont les Verts, érige Davel en figure universelle de la révolte et de la désobéissance civile.

C’est l’un des partis pris de l’exposition en cours dans les gymnases vaudois que de lui faire côtoyer Greta Thunberg. L’an dernier, la tentative ratée de réhabilitation officielle du major s’inscrivait dans cette perspective.

La leçon du major ne se comprend pleinement qu’en regardant où le Canton de 1723 en était dans son histoire. Cette année-là, le Pays de Vaud subit le joug bernois depuis moins de 200 ans. Dans son manifeste, Davel se réfère aux franchises des villes vaudoises, accusant Berne de ne pas respecter ces institutions qui remontent au Moyen Âge. Cela indique la structure mentale autant que les références politiques du major. Ancien officier de Louis XIV, il est de tout son être un homme de l’Ancien Régime. Même en germe, son geste ne contient pas la moindre préfiguration de la Grève du climat ou du Pays de Vaud moderne.

On peut, à raison, rapprocher Davel de Jeanne d’Arc. Tous deux contestent la légitimité du pouvoir en place dans leur terre natale. Leurs démarches se revendiquent d’une inspiration divine: des «voix» pour Jeanne d’Arc, «la Belle Inconnue» pour le Major.

Leurs aventures divergent dans les moyens utilisés. Jeanne d’Arc va chercher le roi légitime et l’emmène à Reims pour le faire sacrer. Son action est positive. Elle construit l’avenir en rétablissant la tradition politique du Royaume de France.

Davel, de son côté, monte à Lausanne sans avoir de plan. Ses officiers ne savent rien et les fusils sont vides. Il dénonce à raison l’illégitimité des Bernois, mais ne propose aucun remplaçant. Très rapidement, son sacrifice, et surtout la solitude dans laquelle il le vit, prennent le devant de la scène.

Face à Berne, sa posture est incantatoire, intransigeante mais néanmoins heureuse – «C’est le plus beau jour de ma vie» – au point de paraître illuminée. Et pourtant, en affirmant l’illégitimité du pouvoir bernois, Davel affirme aussi, en 1723, l’existence du Pays de Vaud comme un ancien Pays et se revendique d’une tradition politique propre. Davel a conscience de l’unité et de l’identité historique du Canton alors que le concept de nationalisme n’existe pas encore. Il faut réaliser combien cela est fort.

(Félicien Monnier, 24 heures, 9 mai 2023)