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Le syndicaliste doit-il détester les patrons?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1845 12 septembre 2008
Interrogé sur la Ligue vaudoise par L’Hebdo, M. Jean Christophe Schwaab, secrétaire central de l’Union syndicale suisse, a déclaré: «Ce mouvement a malheureusement encore de l’influence, par l’intermédiaire du Centre Patronal». Cette influence, dans la mesure où elle existe, est réciproque, tenant à des références communes et à des amitiés partagées. Mais ce n’est pas la question. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir en quoi l’activité du Centre Patronal peut être qualifiée de «malheureuse» par un syndicaliste.

Trois approches

Le Centre Patronal aborde les questions économiques sous trois points de vue. Le premier, c’est celui de la défense des intérêts patronaux proprement dits; le second est celui de la solidarité professionnelle, qui unit les employeurs et les employés par-delà leurs divergences occasionnelles; le troisième est celui du cadre institutionnel et politique qui fixe les conditions juridiques et matérielles de l’activité économique.

Au service des patrons

Le Centre Patronal, par ses secrétaires patronaux, anime le secrétariat d’environ deux cents associations et groupements: professions libérales, activités artisanales, industrielles, commerciales, touristiques, métiers de la santé, de la terre, tourisme, sans parler d’un certain nombre d’activités culturelles, sociales et sportives. Il renseigne les patrons sur le droit du travail, publiant notamment le «Guide de l’employeur», en français et en allemand, ainsi que le guide juridique «Etranger en Suisse». Une permanence téléphonique répond aux questions de droit qui se posent quotidiennement aux patrons.

Le Centre Patronal organise de nombreux cours de formation élémentaire ou de perfectionnement. Ces cours touchent aux domaines les plus divers, de la gestion des conflits au dessin assisté par ordinateur en passant par la maîtrise de l’élocution. Il gère des institutions sociales, une caisse AVS, des caisses d’allocations familiales, des fonds de prévoyance et une assurance perte de gains.

Les secrétaires patronaux assurent les relations avec les syndicats et négocient les conventions collectives. Cela nous conduit au deuxième niveau de l’action du Centre Patronal, sans doute le plus original, celui de l’ordre professionnel.

L’ordre professionnel

Contestant aussi bien l’individualisme libéral que le collectivisme étatique et la théorie de la lutte des classes, le Centre Patronal prône une vision communautaire des relations de travail. En d’autres termes, même si les intérêts des partenaires sociaux ne coïncident pas toujours, il est généralement possible, entre gens de bonne foi, de trouver un accord. Dans un marché, il n’y a pas forcément un vainqueur et un vaincu, un trompeur et un trompé. C’est cette certitude, partagée avec un certain nombre de secrétaires syndicaux, qui rend possible la paix du travail.

La paix du travail ne supprime pas les divergences d’intérêts ni les risques de rupture des relations entre l’employeur et l’employé. Elle les relativise dans la perspective supérieure de la survie de l’entreprise qui les fait vivre l’un et l’autre. Elle cadre les conflits par des procédures impératives en cascade qui calment le jeu, réduisent les divergences à leur réalité objective et repoussent la rupture assez loin pour qu’elle n’ait lieu qu’exceptionnellement.

La paix du travail ne va certes pas de soi. Elle impose aux patrons une discipline corporative que tous n’acceptent pas facilement. Certains d’entre eux voudraient du Centre Patronal une perspective plus franchement libérale. Les secrétaires patronaux doivent s’employer à les convaincre que cette discipline leur est propice sur le long terme. Mais ils ne peuvent être convaincants que si les syndicats jouent le même jeu. Ce n’est pas facile non plus, car les secrétaires syndicaux sont également soumis à des pressions, de la part d’employés qui leur reprochent d’être trop consensuels, mais aussi de la part des marxistes qui les accusent de «collaboration de classes» et des jusqu’auboutistes qui, le 1er mai, scandent sans réfléchir: «Paix du travail, paix des patrons!».

La paix du travail est d’autant plus délicate à entretenir qu’il n’existe pas, pour la faire respecter, d’autorité corporative qui coifferait à la fois les représentants des patrons et les secrétaires syndicaux. Il y faut de part et d’autre de la hauteur de vue et de l’abnégation.

Sur le fond de la question, le Centre Patronal a publié plusieurs études doctrinales dans sa série Etudes et Enquêtes (1), notamment «Liberté économique et responsabilité sociale» et «La paix du travail est-elle menacée?». Le thème est présent en permanence dans les articles et les discours des secrétaires patronaux.

Mais la façon la plus efficace de protéger la paix du travail est de susciter et d’entretenir des relations régulières entre les patrons, les syndicalistes et même les gens des partis. Les secrétaires patronaux consacrent du temps et de l’imagination à ces rencontres. C’est ainsi que l’on crée des liens personnels de confiance, des usages, des moeurs. La paix du travail change alors de statut. Elle n’est plus simplement une idée parmi d’autres, mais une manière de vivre.

Le cadre politique

Enfin, le Centre Patronal défend l’autonomie des entrepreneurs face à la volonté dirigiste des services de l’Etat; il lutte contre les hausses d’impôts et pour la réduction du coût de la transmission des entreprises familiales; il se prononce sur les questions d’infrastructures, de circulation, de transport et d’énergie.

Il prend position sur les projets de loi à propos desquels il est consulté, et sur les autres. Il fait connaître son avis sur les politiques vaudoise et fédérale dans le périodique Patrons, la feuille hebdomadaire de son Service d’information et ses brochures d’Etudes et Enquêtes. Dans les questions où la politique a des effets directs sur l’économie, les questions fiscales, par exemple, la formation scolaire des futurs apprentis ou la construction d’une troisième voie d’autoroute entre Lausanne et Genève, le Centre Patronal ne se contente pas de donner son avis, il intervient publiquement, lance ou soutient des actions publiques, pétitions, référendums ou initiatives.

Son fédéralisme intransigeant semble incongru à beaucoup de commentateurs. Il relève pourtant de la même approche communautaire que ses autres activités: l’économie vaudoise est faite principalement par et pour des hommes qui vivent ici. Même s’il revendique la liberté des échanges, le monde économique a besoin de rester en symbiose avec la communauté politique réelle qui, en Suisse, est le canton. Cet enracinement de l’économie dans la société est une façon concrète de résister à la globalisation, qu’elle soit libérale, socialiste ou altermondialiste.

La défense de conditions politiques permettant à l’énergie inventive des patrons de se déployer, le fédéralisme et la résistance face à la bureaucratie ne sont peut-être pas le souci premier d’un secrétaire syndical. En revanche, celuici, s’il est soucieux du bien de ses mandants, ne peut qu’approuver la volonté du Centre Patronal d’incorporer sur pied d’égalité les représentants syndicaux aux débats et à la conclusion d’accords paritaires, comme il doit saluer les efforts faits pour préserver l’autonomie de la Suisse face au chaos social engendré par la mondialisation. Mais ce n’est manifestement pas l’avis de M. Schwaab. Serait-ce qu’il déteste les patrons plus qu’il ne se soucie de leurs employés?


NOTES:

1) On peut les commander au secrétariat du Centre Patronal, téléphone 021 796 33 00.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Juvenilia LXXXIX – Jean-Blaise Rochat
  • Capo d'Istria (4) – Alexandre Bonnard
  • La récré est terminée – Philippe Ramelet
  • Le chasseur, gestionnaire naturel de la faune – Pierre-François Vulliemin
  • Le mythe de la mobilité croissante des Suisses – Nicolas de Araujo
  • Deux médailles vaudoises aux JO – Antoine Rochat
  • La grande déculturation – Jacques Perrin
  • Déculturation: des exemples – Jacques Perrin
  • Juvenilia XCI – Jean-Blaise Rochat
  • «Dessine-moi un mouton qui rit», dit le petit Prince – Le Coin du Ronchon