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L’initiative sur les minarets

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1860 10 avril 2009

La construction de minarets est interdite: dans quelques mois, le peuple et les cantons introduiront ou non cet alinéa lapidaire dans la Constitution fédérale.

Les musulmans vivant en Suisse étaient 16'300 en 1970, 56'600 en 1980, 152'000 en 1990, 310'000 en 2000. Ils sont actuellement entre 350'000 et 400'000.

Structures familiales, sociales et politiques, justice pénale et civile, rapports entre la religion et l’Etat, les conceptions musulmanes sont aux antipodes des nôtres sur tous ces points, et sur quelques autres. Au contraire du christianisme, l’islam ne reconnaît pas l’autonomie de la philosophie, ni celle des sciences, ni celle des arts, ni celle de la politique, ni celle d’aucune autre activité humaine1. La loi musulmane, la charia, codifie tout ensemble les aspects publics et privés, religieux et sociaux de la vie du musulman. C’est elle qui inspire les revendications des musulmans de Suisse concernant l’abattage rituel, la reconnaissance des écoles coraniques, l’édification de cimetières particuliers, les menus des cantines scolaires ou militaires, la présence des élèves musulmans aux fêtes chrétiennes organisées par l’école, etc.

On ne peut se contenter d’aborder ces questions en termes de droits individuels et de liberté religieuse. La pratique sur notre sol de cette religion passionnément prosélyte aura, a déjà, des retombées sur la communauté vaudoise, sur ses moeurs et son organisation. Elle menace aussi d’en avoir, à terme, sur notre droit.

Les musulmans sont certes minoritaires. Ils sont divisés, voire opposés en de nombreux groupes et sous-groupes. Cela réduit la légitimité de leurs «représentants». Leurs revendications n’en font pas moins leur chemin. Elles risquent de susciter, de la part de l’Etat, une réaction de neutralité laïque non seulement à l’égard de l’islam, mais aussi, sous prétexte d’égalité de traitement, à l’égard du christianisme et de tous les rites, fêtes et manifestations qui lui sont liés. Il n’est pas absurde, par exemple, d’imaginer la suppression de la fête de Noël à l’école. Des parents musulmans l’ont déjà demandée.

Une seconde conséquence, plus lointaine, pourrait être l’apparition sur notre sol de zones communautaristes échappant au droit ordinaire et appliquant la charia, ou alors une évolution de la pratique des tribunaux dans le sens d’une application différenciée de la loi suisse en fonction de la religion. Les partisans de l’initiative évoquent notamment le cas d’un tribunal allemand ayant récemment statué non selon les lois du pays, mais selon la loi coranique.

L’initiative contre les minarets a le mérite d’avoir posé publiquement le problème dans ses perspectives sociales et politiques. Cela justifie-t-il que nous la soutenions?

Nous n’avons pas soutenu la récolte de signatures. Outre ses aspects électoralistes qui nous rebutaient, l’initiative nous posait un problème de principe, son texte empiétant manifestement sur la souveraineté des cantons.

Nous entendons déjà certains de nos amis: «Quoi? les barbares sont aux portes, nos valeurs sont menacées, la civilisation s’effondre et vous nous faites perdre un temps précieux avec ce formalisme fédéraliste? Votre juridisme obsessionnel vous empêche de voir la réalité. Il ne s’agit pas de ratiociner en altitude, mais de prendre d’urgence des mesures de salut public!»

Nous répondrons d’abord à ces personnes qu’elles dramatisent à leur convenance. Elles transforment subrepticement une situation de risque réel en une situation d’urgence absolue, ce qui les autorise, pensent-elles, à transgresser les principes politiques qui structurent la vie même de la Confédération.

C’est une contradiction que nous avons souvent observée: la gravité de la situation est telle aux yeux de certains qu’il ne leur apparaît plus nécessaire de réfléchir à la portée de leurs actes. Il faut faire quelque chose, peu importe si c’est n’importe quoi!

Nous refusons d’être ainsi mis en condition. Nous refusons aussi de faire comme si tous les problèmes moraux, sociaux, politiques, religieux liés à l’islam dépendaient désormais entièrement de l’autorisation ou non de construire des minarets en Suisse.

Nous répondrons ensuite à nos amis que la question religieuse est plus qu’aucune autre liée aux moeurs cantonales. Les relations entre la société et les communautés musulmanes sont abordées d’une façon totalement différente selon qu’on se trouve en Valais, à Genève ou dans le Canton de Vaud. La Constitution fédérale doit en tenir compte et s’abstenir de toute intervention dans ce domaine. Il n’y a pas lieu de s’affoler au point de priver les cantons d’une compétence fondamentale qu’ils ont jusqu’aujourd’hui assumée sans démériter.

Ces amis nous rétorqueront que nous nous trouvons devant une situation totalement inédite. Il ne s’agit pas simplement d’une question religieuse relevant des cantons, mais d’une guerre larvée qui oppose deux civilisations. Et ce type de situation relève de la Confédération protectrice des cantons. Le but de l’initiative est d’y contribuer en évitant aux cantons suisses d’être submergés par la vague islamique qui progresse dans le monde entier.

Le discours serait peut-être recevable si l’initiative promettait effectivement de nous éviter cette submersion. Je suis désolé de le dire, mais ce n’est pas le cas. L’interdiction des minarets n’empêchera pas les familles musulmanes de croître et de multiplier plus rapidement que les gens de souche. Elle n’interdira pas aux pratiquants de créer de nouvelles mosquées et de s’y rassembler pour y parler politique. Elle ne freinera pas leurs efforts pour convertir les infidèles. Elle ne les dissuadera pas de multiplier les revendications alimentaires, vestimentaires, funéraires et autres. Elle ne les empêchera pas davantage de garder leurs enfants à la maison lors des fêtes chrétiennes, ni d’exiger des correctifs dans les programmes d’histoire, de sciences naturelles et de gymnastique.

Elle n’empêchera même pas les minarets d’ailleurs… M. Tariq Ramadan appelle les musulmans d’Europe à faire preuve de «créativité architecturale». Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire que les minarets d’Europe ressemblent tous au minaret de la Mosquée bleue… ou à celui de Genève. On ne peut empêcher une communauté musulmane de construire un bâtiment, qui ne ressemblerait pas au minaret tombant sous le coup de la loi, mais n’en aurait pas moins la fonction de minaret!

Même si l’islam a des implications politiques et sociales immédiates, le moteur de sa progression est et reste religieux. On ne lutte pas contre une religion en pleine expansion avec des interdictions légales, surtout quand l’interdiction porte sur un élément secondaire.

La plupart nous accorderont sans doute que l’initiative porte atteinte au fédéralisme. Certains nous concéderont même qu’elle passe loin de la cible. Mais étant donné qu’elle a abouti, estiment-ils, il convient de la soutenir, ne serait-ce que pour éviter d’offrir une victoire symbolique à l’islam. L’argument n’est pas sans portée. Il est certain que si l’initiative est rejetée, ce sera une victoire des communautés musulmanes. Cela renforcera leur unité et soutiendra leurs revendications à l’égard des cantons et de la Confédération.

Mais nous attirons l’attention des partisans de l’initiative sur le fait que son acceptation par le souverain n’aura pas un effet très différent. L’interdiction des minarets rapprochera elle aussi les musulmans. Elle les unira, pratiquants ou non, sous la bannière des minorités injustement traitées. Elle les confortera dans leur volonté de donner sa juste place à l’islam en Suisse. Si j’étais un agitateur islamique, je n’en voudrais donc pas trop au comité d’Egerkingen d’avoir lancé son initiative.

Je lui serais même très reconnaissant, indépendamment de la décision du souverain, de m’offrir la possibilité de mener une campagne d’agit’prop durant les deux ou trois mois qui précéderont le vote. Quelle aubaine de disposer des colonnes des journaux et des plateaux de la radio et de la télévision pour émettre mes revendications tout en répandant un brouillard de mots à la mode sur les thèmes délicats, comme M. Ramadan sait si bien le faire, et de protester de mes intentions pacifiques tout en appelant les musulmans de Suisse à s’unir! Ce sera aussi une occasion rêvée de faire apparaître les adversaires de l’islam comme des extrémistes qui méprisent les principes de la laïcité républicaine et comme des partisans bornés qui brodent en toute ignorance sur quelques citations du Coran qu’ils n’ont pas comprises.

Tout ou presque tout profite à une religion en phase ascendante. On lui cède, elle avance. On lui résiste, elle se renforce moralement et dénonce la résistance comme une agression. Elle se nourrit de ses déboires autant que de ses victoires. Là est l’erreur stratégique de l’initiative. Comme on l’a vu lors de notre séminaire, aux questions de fond que nous pose l’islam en matière religieuse et politique, c’est sur le fond qu’il faut répondre. L’initiative ne crée qu’une agitation de surface. Au mieux, elle ne changera pas grand-chose, au pire, elle contribuera à renforcer la dynamique de l’unification musulmane en Suisse. Le mieux serait de la retirer.

 

NOTES:

1) Rappelons que l’autonomie n’est pas l’indépendance, pas plus que la distinction du temporel et du spirituel propre au christianisme ne se confond avec leur séparation, qui est le propre de la laïcité.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • L’islam en Suisse et dans le Canton de Vaud - Séminaire 2009 de la Ligue vaudoise (III) – Benoît Meister
  • Les tarifs des laboratoires médicaux – Georges Perrin
  • La révision de la loi sur les documents d'identité – Pierre-Gabriel Bieri
  • Jean Studer fait des miracles – Denis Ramelet
  • AOC vaudoises – Benjamin Morel
  • Etat de Vaud et écoles privées – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Couteau: arme du crime – Revue de presse, Nicolas de Araujo
  • Sécurité fédérale – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • Pourquoi tant de laine? – Le Coin du Ronchon