Un fédéralisme alimentaire?
Beaucoup d’entreprises - au sens le plus large, à but lucratif ou social - sont nées au cours des années sans aide extérieure, modestement avec les seuls moyens du bord. Puis est venue l’étape du subventionnement, qui a permis de progresser et de vivre moins chichement... jusqu’au jour où surgit la menace de réduction ou de suppression. C’est alors le drame, la révision douloureuse du train de vie habituel et de son relatif confort: fini le beau temps où l’argent arrivait sans histoire et sans retard! Ce qu’on faisait au départ avec peu, ce qu’on avait pris l’habitude de faire mieux avec plus, il fallait maintenant le faire aussi bien avec moins!
Ces gémissements, on les entend aujourd’hui de toutes parts, plus ou moins bruyants, plus ou moins justifiés; nous ne jugeons pas. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les réactions des cantons, dont la position est très particulière, face aux services fédéraux. On n’est pas ici en présence de partenaires sur pied d’égalité, tels des syndicats ouvriers et patronaux négociant le partage des fruits de l’entreprise. Entre Confédération et cantons, l’enjeu est autre: toute prestation de la caisse fédérale s’accompagne d’une dépendance accrue des cantons, autrement dit d’une diminution de liberté; or cette diminution ne se mesure pas en millions!
C’est ainsi que, sous couleur de résistance fédéraliste, la concentration des efforts cantonaux sur le seul terrain des chiffres produit cet effet pervers de diminuer la liberté des bénéficiaires; le fédéralisme devient une politique essentiellement alimentaire. Nous ne prétendons évidemment pas qu’il faut cesser le combat des chiffres: les choses - et les lois - étant ce qu’elles sont, on ne peut pas tout chambarder d’un jour à l’autre, et on doit reconnaître que le programme dit de péréquation a quelque peu limité les dégâts. Ce qui compte désormais, c’est l’esprit des négociations dans une perspective à long terme. Ce que les cantons doivent défendre avec obstination, et au besoin reconquérir, c’est leur liberté, à commencer par la compétence exclusive de lever l’impôt direct. Faut-il le répéter? L’abolition de l’IFD ne se fera pas sans peine, à commencer par la révision des barèmes cantonaux de manière à rendre l’opération équitable - voire avantageuse? on peut rêver! - pour toutes les catégories de contribuables. Or le temps passe, et à la longue la concurrence irrationnelle et coûteuse de deux autorités sur une même matière fiscale pourrait bien conduire à la défaite de l’une ou de l’autre. Mais ce jour-là il sera trop tard pour se plaindre que le choix final ne soit pas le nôtre. C’est aujourd’hui qu’il faut - tout en bataillant sur les chiffres en attendant mieux - poursuivre la lutte sur le terrain des principes: la liberté du contribuable passe par la soumission au seul fisc cantonal. Si le fédéralisme, par l’insistance des cantons à tendre la main, devient purement alimentaire, les jours d’un fédéralisme de liberté sont comptés.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- L'Etat sans maître – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Robert Mermoud ou l'enracinement – La page littéraire, Jean-Jacques Rapin
- La salle d'attente, un roman de Marie-Jeanne Urech – La page littéraire, Vincent Hort
- L'initiative de luxe – Olivier Delacrétaz
- Garder le cap - «Le Goût du bien commun» – Jacques Perrin
- Catalogue des prestations inutiles (I) - L'Office des écoles en santé – Cédric Cossy
- Enfin! – Revue de presse, Ernest Jomini
- Il suffisait d'y penser – Revue de presse, Ernest Jomini