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L’animal à la barre, un écueil à éviter

Félicien Monnier
La Nation n° 1881 29 janvier 2010
Le 7 mars, nous voterons sur l’initiative fédérale «Contre les mauvais traitements envers les animaux et pour une meilleure protection juridique de ces derniers», dite «initiative pour l’institution d’un avocat de la protection des animaux».

Selon la protection suisse des animaux, PSA, c’est parce qu’ils sont trop libres en matière de procédure judiciaire que les cantons ne sont pas à même d’assurer chacun de leur côté une poursuite efficace des infractions commises contre les animaux. Cette situation se constaterait au fait que, dans la majorité des cantons, les animaux lésés ne disposent pas de défenseur, alors que le détenteur d’animal, en tant que prévenu, peut exercer tous les droits que lui confère son statut de partie au procès. Cette double inégalité, devant l’autorité et selon les cantons, va jusqu’à choquer des partis bien installés; les Verts et les socialistes recommandent l’acceptation de l’initiative.

L’idée de base de l’initiative est la suivante. Dans le cadre de procédures pénales pour non respect des dispositions sur la protection des animaux, un «avocat» se devrait d’intervenir pour défendre leurs intérêts. La forme que prend cette intervention est cependant encore sujette à discussion et variations. On peut imaginer un procureur spécialisé dans la poursuite des infractions à la protection sur les animaux. On peut également avancer l’idée, comme c’est le cas dans le canton de Zurich, d’un intervenant – désigné par le Conseil d’Etat sur proposition des organisations de protection des animaux ou directement par le département compétent – agissant avec les droits octroyés à la partie lésée. Cette position est cependant extrêmement limitée et semble se borner à contrôler que la procédure se fasse convenablement, notamment de veiller à la pesée des intérêts basée sur les concepts décrits dans l’article 3 de la Loi fédérale sur la protection des animaux (LPA). Dans les cantons de Berne et Saint-Gall, respectivement à travers l’organisation faîtière cantonale des organisation de protection des animaux et le département cantonal de l’économie publique, un défenseur public des animaux a partie plaignante, en ce qu’il a qualité pour déposer plainte pour violation des disposition de protection des animaux.

Nous relèverons à ce propos qu’à l’heure actuelle, la LPA est basée sur la protection directe des animaux selon l’Interessenschutztheorie qui postule que les animaux possèdent des intérêts dignes de protection essentiellement basés sur leur qualité d’êtres vivants sensibles. Ces intérêts sont principalement la vie, l’intégrité physique et psychique ainsi que l’absence de souffrances inutiles.

La teneur de l’initiative est la suivante:

Art. 80 al. 4 et 5 (nouveaux) Cst. féd.
Al. 4: La Confédération édicte des dispositions sur la protection des animaux en tant qu’être vivants doués de sensations.
Al. 5: En cas de procédures pénales motivées par des mauvais traitements envers les animaux ou par d’autres violations de la législation sur la protection des animaux, un avocat de la protection des animaux défendra les intérêts des animaux maltraités. Plusieurs cantons peuvent désigner un avocat de la protection des animaux commun.

Ce n’est pas la première fois qu’une initiative fédérale propose la mise sur pied d’un défenseur pour les animaux. Ainsi, en 2000, l’initiative «Les animaux ne sont pas des choses» et, en 2003, l’initiative «Pour une conception moderne de la protection des animaux!» demandaient aux législateurs fédéraux et cantonaux de permettre de telles structures. Il avait alors notamment été avancé que la décision au niveau fédéral de créer, au niveau cantonal, le poste d’un «avocat des animaux» était une marque de défiance à l’égard des tribunaux cantonaux. Ces deux initiatives avaient été retirées.

De plus, lors du débat sur le nouveau code de procédure pénale unifiée (CPP), l’Assemblée fédérale avait délibérément écarté l’idée d’instaurer un avocat des animaux «à la zurichoise». La principale raison invoquée était que le CPP laisse déjà aux cantons la possibilité de mettre en place divers mécanismes de défense des animaux, dans le cadre de leur autonomie en matière d’exécution et d’organisation. La proposition de la Commission des affaires juridiques du Conseil national visant à l’instauration obligatoire d’un défenseur public des animaux avait toutefois échoué à une voix près: 79 contre 78.

On comprend dès lors que l’idée d’un défenseur des animaux n’est pas une idée nouvelle et qu’elle est déjà bien ancrée dans les esprits à tel point qu’il est possible de déclarer que sa non concrétisation devant le parlement semble essentiellement due au hasard.

Nous sommes d’accord avec le Conseil fédéral pour affirmer que l’alinéa 5 contient une formulation problématique. En effet, l’expression «avocat de la protection des animaux» laisse entendre que la tâche peut être confiée tant à une entité privée que publique. Cette distinction provoque effectivement un renversement de perspective. Si le défenseur des animaux est un organisme public, on pourra beaucoup plus facilement admettre que son action s’inscrit dans la défense de l’intérêt public que représente la lutte contre les maltraitances des animaux. Cette conception est celle qui sous-tend tout le droit pénal: punir est une prérogative étatique, elle doit le rester. L’autre optique, celle du défenseur privé et indépendant – le véritable «avocat», peut-être avec robe noire et jabot blanc – pose un certain nombre de problèmes de procédure liés notamment à la qualité pour agir et à la cohérence institutionnelle dans le cadre du CPP suisse de telle sorte que, selon l’avis du Conseil fédéral, «charger un avocat des animaux privé de la défense d’intérêts publics (lutte contre la maltraitance des animaux) reviendrait à introduire un corps étranger dans le code de procédure pénale».

Le risque de la création d’un précédent ne doit pas non plus être négligé. a quand un défenseur de la forêt, des cours d’eau ou des marais?

Nous pourrions encore développer un dernier argument, le plus important à nos yeux. Juridiquement, l’animal possède le statut de chose (objet de droit), sui generis en ce qu’elle exige des dispositions très particulières liées à sa qualité d’être sensible notamment. L’être humain quant à lui est un sujet de droit à part entière. Cette qualité lui permet d’agir en justice et plus largement de se porter titulaire de droits et d’obligations. Contrairement à l’homme, on ne peut exiger d’un animal qu’il prenne les passages pour piétons et ne commette pas de tapage nocturne. Reconnaître que les droits et obligations vont de pair donne une cohérence intrinsèque à l’être dans son entier. L’animal que l’on gratifierait du droit d’être représenté en justice serait un corps étranger dans notre ordre juridique et politique. Si un paysan laisse mourir de soif son troupeau de vaches, ce n’est pas à quelque fonctionnaire ou pénaliste fanatique en mal de shows judiciaires de s’arroger le droit de parler au nom du troupeau. C’est à l’autorité de réagir au nom d’une conception bien particulière de notre rapport à la nature. Celle qui considère que c’est devant ses semblables que l’homme est responsable de la nature, non devant celle-ci, représentée par ceux-là, se cachant derrière elle. Donner une telle importance à l’animal, c’est aussi se déresponsabiliser.

Le Conseil fédéral fait preuve d’une très grande clairvoyance lorsqu’il s’exprime sur cette initiative; ce qui est assez surprenant lorsqu’on voit à quel point le Parlement a été proche d’accepter cette nouvelle institution il y a quelques années. On l’a vu, cette nouvelle institution est bureaucratique, centralisatrice et déséquilibrante. Ce sont là les raisons pour lesquelles nous recommandons de voter NON le 7 mars. En fin de compte il n’est peut-être que le grand Honoré Daumier qui aurait été amusé de pouvoir croquer une chèvre dans une salle d’audience…

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